Deux faits du maelstrom politique ivoirien nous convoquent bruyamment à l’analyse. Le premier, ce sont les poursuites engagées par le régime Ouattara contre Charles Blé Goudé, pour de présumés crimes analogues à ceux de la CPI. Passant ainsi de la complémentarité à la superposition. Cela fait incontestablement entorse au droit. Car, sans être juriste, il est dit dans le temple de Thémis, que l’on ne peut être puni deux fois pour un même fait. Le second fait, c’est la cristallisation des passions autour de la visite que Guillaume Soro, l’ex-activiste étudiant, a rendu à son camarade de lutte au sein de la puissante Fédération des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Fesci). C’est à dessein que nous évoquons ce segment de vie de ces deux « jeunes ». Une période qui renvoie au Kwazulu (les défuntes résidences universitaires de Yopougon I et II), à la cuvette de Dien Bien Phu, la « bassin» entre le CHU et le Campus de Cocody, la « Douane », mini-espace mitoyen au Campus 2000 qui a accueilli de nombreux meetings de la Fesci aux temps des braises, sous un certain Alassane Ouattara, Premier ministre d’un Houphouët-Boigny amoindri par la maladie, ce qui donnait les pleins pouvoirs au banquier venu de Dakar, etc. Lorsqu’on a passé ces longs moments ensemble dans cet univers, on a forcément un code d’honneur qui transcende certaines barrières, furent-elles les chapelles politiques. Certes les trajectoires de l’un et de l’autre ont été différentes. L’un s’est auto-proclamé général de la Rue, chef de la galaxie patriotique. L’autre a pris le maquis pour que, selon ses propres mots, les Nordistes qu’il estimait rejetés dans leur propre pays « aient leurs cartes d’identité » dont ils auraient été spoliés. L’histoire qui n’admet pas de jugement précautionneux rendra un jour son verdict. Si ce n’est déjà le cas avec le très corrosif concept de « Rattrapage ethnique » qui ronge le tissu social. Bref. Aucune vie n’est linéaire, un océan tranquille. Il peut y avoir des moments de turbulences, de houles. A charge pour celui qui a le gouvernail de tenir bon. De faire des choix qui gardent le cap. Des politiques, Soro Guillaume et Blé Goudé y compris, ont l’obligation des choix éclairés. Garder l’orgueil dans le carton pour se parler, en dépit des ressentiments, est une initiative à saluer. Elle est banale. Parce qu’avant eux, la France et l’Allemagne qui ont connu de féroces guerres (Les deux guerres mondiales et leurs corolaires de traités de Versailles, de Paris humiliée, Paris martyrisée…) sont aujourd’hui le fer de lance de la construction européenne. Le Japon qui a capitulé aux termes de deux bombes atomiques lancées par les Etats Unis, les 6 (Horoshima) et 9 (Nagazaki) Aout 1945, a capitalisé sa proximité avec l’oncle Sam pour se hisser dans le peloton de tête des Nations développées. Le pays du Soleil Levant a su, comme c’est de coutume là-bas, transformer le poison en élixir. Ici, sur les bords de la Lagune Ebrié, Laurent Gbagbo, bien que secoué par la mort atroce de son « frère » Boga Doudou, est parvenu à la paix des braves avec la rébellion de Guillaume Soro qui voulait le conduire à la potence. Conséquence, la situation socio-politique de l’époque, totalement crispée, a viré au dégel. Les Ivoiriens ont pu respirer un bon air qui flottait sur le pays. Même si cela a été de courte durée, l’apaisement a été possible. Il peut encore l’être si Alassane Ouattara, le président ivoirien, sort de son égo surdimensionné pour se mettre au niveau d’un simple mortel. Sa posture de demi-dieu qui le pousse à s’ériger en justicier, au moment où les siens, sur qui il pèse de lourds soupçons de crimes graves, comme le massacre à relent génocidaire de Duékoué Carrefour, du camp de réfugiés de Nahibly ou du village d’Anonkoua Kouté, le massacre des gendarmes à Bouaké, etc, jouissent d’une impunité insolente, n’est pas de nature à faire avancer la Côte d’Ivoire. Des pays comme l’Afrique du Sud, le Rwanda, ont connu des crises plus graves que la nôtre. Ils s’en sont sortis grâce à une volonté politique. Celle-ci est quasi-inexistante en Côte d’Ivoire. Englué dans une « justice des vainqueurs », le pouvoir d’Abidjan a encore la force de traduire en justice une partie au conflit qui date de 2010. La raison est simple. Le régime reste ankylosé par la peur de perdre les lambris dorés du pouvoir. Par ailleurs, il craint que les ressorts de la répression, la chasse à ses opposants, ses décisions infâmes comme le gel des comptes bancaires, la chasse aux sorcières dans l’administration générale, lui reviennent en un effet boomerang.
En définitive, voir d’un mauvais œil, une rencontre entre Soro Guillaume et Charles Blé Goudé, le droit le plus absolu de deux personnes qui jouissent de leur libre arbitre, étonne. De même, poursuivre Charles Blé Goudé ou Laurent Gbagbo qui souffrent déjà le martyr à mille lieues de chez eux, alors qu’ils n’emportent seulement qu’un quart (les trois quarts sont supposés avoir été commis par les proches du régime) des crimes présumés, ce n’est pas chercher la justice. C’est ni plus ni moins de la vengeance. C’est bafouer toute règle morale. L’une de ces règles, c’est notre capacité à pardonner. C’est le pardon qui nous place au-dessus du règne animal. Ceux qui en sont incapables sont simplement prisonniers de la haine. La haine rasoir.
Tché Bi Tché
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