Ils sont tous là, ce 5 mai, dans les couloirs du Palais des sports de Treichville, à Abidjan. Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko entourent Guillaume Soro, sous les yeux d’Alassane Ouattara.
Réuni en congrès extraordinaire, le Rassemblement des républicains (RDR, au pouvoir) souhaitait donner l’image d’une formation rassemblée ; et le président de l’Assemblée nationale, chemise aux couleurs du parti, casquette de militant vissée sur la tête, a choisi de jouer le jeu.
Plusieurs de ses proches ont fait le déplacement. Parmi eux, Sidiki Konaté, Alphonse Soro, Fatoumata Traoré Diop et même des membres du Raci, le Rassemblement pour la Côte d’Ivoire, un mouvement de soutien à Guillaume Soro.
En septembre dernier, l’ancien chef de la rébellion avait refusé de participer au congrès du RDR qui couronnait la nomination d’une nouvelle direction. Les tensions avec le chef de l’État et son entourage avaient atteint leur paroxysme.
Changement de stratégie
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts : Alassane Ouattara et Guillaume Soro sont en contact régulier. À la demande du président, Soro a multiplié les rencontres avec les cadres du parti. Il a même renoué avec le ministre de la Défense, Hamed Bakayoko, à l’occasion de deux tête-à-tête qui ont eu lieu courant mars, et il s’entretient à l’occasion avec Téné Birahima Ouattara, le frère du chef de l’État.
Plusieurs membres de la branche politique de l’ancienne rébellion ont par ailleurs intégré la direction du parti présidentiel, à des postes de secrétaire général adjoint ou au sein du cabinet de Kandia Camara, la secrétaire générale.
Soumaïla Bakayoko, l’ancien chef d’état-major, a été nommé fin février à la tête de la Société ivoirienne de raffinage, et Alphonse Soro, limogé en juin 2017, a retrouvé sa place au cabinet du Premier ministre ; des postes dans l’administration ou même au gouvernement ont été promis à certains proches du président de l’Assemblée nationale.
« Nous nous sommes parlé », résume Sidiki Konaté, président de la commission défense et sécurité à l’Assemblée nationale. « Tout le monde a le souci d’aller à l’apaisement et de travailler à lever les suspicions. »
À reculons
Et pourtant, il est des signes qui ne trompent pas. Le 5 mai, à Treichville, Guillaume Soro n’a pas pris la parole. Il est resté la plupart du temps assis à la tribune. Il n’a participé à aucune commission et ne s’est pas rendu au déjeuner officiel. Comme s’il faisait son retour presque à reculons au sein de la « grande famille » du RDR.
Les tensions entre Soro et le Premier ministre n’ont pas disparu
C’est un fait : Soro et Ouattara se parlent régulièrement, mais le chef de l’État demeure méfiant. Les tensions entre Soro et le Premier ministre, nées de leur rivalité politique, n’ont en outre pas disparu, et les proches du président de l’Assemblée nationale accusent Amadou Gon Coulibaly d’avoir « verrouillé le parti ».
Si Soro a participé à la cérémonie d’hommage à Ouattara, organisée dans son fief de Ferkessédougou, « il a fait le service minimum », affirme l’entourage du Premier ministre. « Il a fallu que Téné Birahima Ouattara le relance plusieurs fois, poursuit notre source. Et, alors qu’il devait parler au nom des populations, il a politisé son discours en parlant de réconciliation. »
« On nous parle de décrispation, mais dans le même temps le directeur de protocole de Soro, Soul to Soul, est toujours en prison. Certains d’entre nous sont toujours embêtés à l’aéroport lors des formalités administratives », rétorque un proche de Soro.
Dans l’entourage de l’ancien rebelle, une majorité semble avoir déjà fait le deuil du RDR et ne participe plus que rarement aux activités du parti. D’autres s’y accrochent et lui conseillent de ne pas rompre les liens avec Ouattara et le parti. « Le RDR est une force », assure Sidiki Konaté.
Le principal intéressé temporise. « Pour le moment, il n’a aucun intérêt à aller au clash. Cela le mettrait plus en difficulté qu’autre chose », estime un observateur de la vie politique ivoirienne. Ces dernières semaines, Soro a restreint le cercle des collaborateurs avec lesquels il élabore sa stratégie et concentre ses efforts sur la préparation des élections locales, prévues pour cette année, qui pourraient représenter un vrai test pour lui.
Son objectif est de présenter ou de parrainer des candidatures dans un tiers des circonscriptions. Lui-même ambitionne d’être candidat dans une commune importante, à choisir entre Bouaké, Yopougon et Abobo, selon nos informations. Il pourrait également soutenir des indépendants dans d’autres localités symboliques.
Marge de manœuvre
Dans le même temps, Soro scrute avec attention les débats qui agitent le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Si le RDR a validé le principe du parti unifié le 5 mai, le parti d’Henri Konan Bédié tarde à se prononcer. « Soro ne croit pas au parti unifié. Il estime qu’on ne peut pas forcer une formation politique à renoncer à son identité », explique un de ses conseillers, l’ancien ministre Alain Lobognon. Il l’a d’ailleurs indiqué au chef de l’État lors d’une entrevue début avril.
Mais son positionnement n’est pas innocent : une rupture entre Ouattara et Bédié ne pourrait lui être que bénéfique. En revanche, dans le cas où le PDCI accepterait de participer à une primaire au sein du RHDP (Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix), sa marge de manœuvre serait considérablement réduite.
Conscients que le soutien de l’un permet de consolider la position de l’autre, Soro et Bédié entretiennent leur proximité. Après avoir lui aussi rencontré Alassane Ouattara, le 10 avril, le Sphinx de Daoukro a appelé son « jeune frère » pour lui faire part de la teneur de leurs échanges.
Les ambitions présidentielles de Guillaume Soro ne sont un secret pour personne. S’il n’a pas encore arrêté de position officielle pour 2020, il est déterminé à maîtriser son agenda.
Le 5 mai, lors de son discours de clôture, le président Ouattara n’a pas manqué d’évoquer cette échéance : « J’ai toujours indiqué que tout le monde pourra être candidat en 2020. N’ayez aucune crainte, que personne ne se sente exclu […]. Je voudrais encourager tous ceux qui ont des ambitions […]. Il faut tout simplement préparer votre candidature au sein du RHDP si vous le souhaitez. » En entendant ces mots, Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko se sont immédiatement tournés vers Guillaume Soro.
Soul to soul peut compter sur lui
Le cas de Souleymane Kagamaté empoisonne toujours les relations entre Guillaume Soro et Alassane Ouattara. Le directeur de protocole du président de l’Assemblée nationale a été placé sous mandat de dépôt en octobre après qu’une importante cache d’armes a été découverte, quelques mois plus tôt, à Bouaké, dans une résidence lui appartenant.
Plusieurs personnalités de la sous-région (dont l’ancien président Blaise Compaoré) ont plaidé sa cause auprès du chef de l’État ivoirien, sans que la situation de « Soul to Soul » évolue.
Si l’enquête ivoirienne est toujours en cours, l’expert de l’ONU a quitté Abidjan fin mars en faisant aux autorités une série de recommandations. L’état-major a ainsi envoyé des missions dans plusieurs casernes pour vérifier les stocks d’armes.
Des opérations similaires ont visé, entre le 12 avril et le 6 mai, les résidences de Soro à Ferkessédougou et dans le village de son épouse, ainsi que les demeures de six anciens comzones. Soro, qui n’en avait pas été officiellement averti, a évoqué l’incident au téléphone avec le chef de l’État directement.
Source : Jeune Afrique