L’année 2017 a été riche en rebondissements dans le procès Gbagbo. A chaque fois que ses partisans croient voir le bout du tunnel, l’espoir de la liberté provisoire s’éloigne. Comme une étoile filante. Loin de nous, lecteurs nôtres, de vous soumettre à la science des cauris. Loin de nous la méthode de Coué. Mais, contrairement à l’optimisme hors de saison des tenants de ces prophéties auto-réalisatrices, un mince espoir illumine encore le sort de Gbagbo. Autrement dit, des faits tangibles inclinent à ne pas céder à la tristesse et au désespoir.
Les révélations de Médiapart, un tournant
« À Paris, la direction Afrique du ministère des affaires étrangères est en ébullition. Son responsable, Stéphane Gompertz, écrit ce même 11 avril 2011 un mail à plusieurs diplomates et officiels français, au Quai d’Orsay ou à l’Élysée – Nicolas Sarkozy, alors président, est un proche d’Alassane Ouattara. Un « collaborateur » français du procureur de la Cour pénale internationale (Cpi), Luis Moreno Ocampo, «vient de m’appeler», note Gompertz. «Le procureur souhaite que Ouattara ne relâche pas Gb (pour Gbagbo – ndlr)» et «qu’un État de la région renvoie l’affaire à la Cpi au plus vite», poursuit-il, précisant : «Ocampo va essayer de joindre Ouattara ou un de ses proches.» Le procureur de la Cpi sera lui aussi destinataire du même message, qui fait partie des documents confidentiels obtenus par Mediapart et analysés par l’European Investigative Collaborations (EIC) dans le cadre notre série d’enquêtes Les Secrets de la Cour » dévoile le confrère Mediapart. Non sans estimer que la requête du procureur Ocampo, telle que relayée par la diplomatie française, pour garder Gbagbo prisonnier ne repose juridiquement sur rien : ni compétence juridique, ni mandat d’arrêt. Ils permettent aussi de mieux saisir les confidences en “off” de Nicolas Sarkozy publiées dans le livre Ça reste entre nous, hein? (Flammarion, 2014) : «On a sorti Gbagbo, on a installé Alassane Ouattara.» Ces quelques extraits montrent à quel point la France en voulait à Gbagbo. Et viennent, s’il en était encore besoin, conforter la galaxie Gbagbo dans son sentiment que Laurent Gbagbo est victime d’un complot. Ce n’est donc pas l’expression émotive d’adeptes d’un Gourou à la limite de la déification. Ces révélations d’un consortium de medias peuvent être perçues comme un camouflet pour les sycophantes de la Communication à la solde des impérialistes. C’est incontestablement un élément qui va peser dans l’issue du procès.
Les prises de position de Droit du juge-président, Cuno Tarfusseur
Autre temps fort du procès de Laurent Gbagbo, c’est l’opinion dissidente du juge-président, Cuno Tarfusser, relativement à la libération conditionnelle du prévenu. Lors de l’analyse de la 11e requête déposée par les avocats de Gbagbo. La jurisprudence de la Cour, dira-t-il « est généreuse en rappelant qu’un accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie et en reconnaissant que la détention sera l’exception plutôt que la règle ». « Gbagbo bénéficie, comme tous les accusés, de la présomption d’innocence et son âge avancé ne devrait pas être utilisé comme un facteur à son détriment dans le cadre de l’évaluation de sa détention, encore moins sur la base du scénario hypothétique d’une condamnation. Deuxièmement, l’état de santé de Laurent Gbagbo a été signalé comme une question nécessitant une «attention accrue» dès novembre 2012. Depuis, il n’est pas devenu plus sain, selon les rapports soumis par le médecin-conseil de détention aussi récemment que le 26 août 2016. Selon les termes du médecin, M. Gbagbo est «considéré comme une personne fragile», en raison de facteurs allant de son âge aux affections et les conditions chroniques dont il souffre. À mon avis, l’âge et les conditions de santé de Laurent Gbagbo diminuent en soi sa capacité même d’envisager une fuite éventuelle, ce qui affaiblit considérablement le risque qu’il puisse se soustraire à la justice. En tant que tels, ils auraient en soi le mandat d’examiner la faisabilité d’une solution de rechange à la détention. Le scénario est rendu encore plus inquiétant par le fait que, jusqu’à ce jour, aucune perspective spécifique quant au moment de la conclusion du procès n’est disponible ou en vue. Sur le rythme moyen des interrogatoires à ce jour et le calendrier moyen des cours par année montre que le dossier du Procureur ne prendrait fin qu’à la mi-2019 au plus tôt. Alors que le Procureur a depuis informé la Chambre des mesures adoptées ou envisagées visant à améliorer la rapidité globale du procès en faveur de l’existence d’un tel risque sur la base «de l’extrême gravité des accusations portées contre lui et du fait qu’il nie que M. Gbagbo pourrait avoir «une incitation claire à fuir» pour éviter de passer le reste de sa vie en prison à la lumière de cet âge. Comme je l’ai indiqué plus haut, M. Gbagbo bénéficie de la présomption d’innocence ainsi que du droit de se défendre contre les accusations en tant que droits fondamentaux de l’homme et je ne vois pas comment le fait qu’il «nie toute responsabilité», pourrait être utilisée contre lui pour prouver un risque de fuite », objecte le juge-président. Pour lui, le risque de fuite soulevé par ses collègues paraît mince. « (…) Comme l’a également reconnu la majorité, il n’y a, à ce stade, aucune preuve spécifique que M. Gbagbo a l’intention de fuir ou d’entraver la procédure du procès. La majorité ne tient pas compte de l’impact que l’âge et la santé de Laurent Gbagbo pourraient avoir sur le risque de sa fuite malgré la détermination de la Chambre à exercer ses pouvoirs de gestion de procès de manière à maximiser l’efficacité », regrette le président de la Chambre. Pour finir, Cuno Tarfusser se dit : « convaincu que la détention actuelle de Laurent Gbagbo a dépassé le seuil d’une durée raisonnable et qu’en raison de son âge et de sa santé, le risque de se soustraire à la justice devient de plus en plus improbable. Il est grand temps que la faisabilité de sa mise en liberté provisoire ad intérim soit au moins sérieusement considérée ». C’est clair que les arguments avancés par le juge-président finiront par l’emporter sur le rigorisme juridique de ses deux collègues.
Le jour où la Cour d’appel a « cassé » la décision de la Chambre de Première Instance I
Si au sein même de la Chambre de Première instance I, le juge président Cuno Tarfusser déploie une énergie à convaincre ses collègues à accorder la liberté provisoire à Gbagbo, au niveau de la Cour d’appel, on semble du même avis. En effet, lors de l’audience du 19 juillet 2017, la Cour d’appel a pris une décision importante et historique, celle de casser une décision de la Chambre de Première instance I. Même si finalement, cette décision n’a pas produit l’effet escompté, à savoir la libération de Gbagbo. « La Chambre d’appel a annulé la décision de la Chambre de première instance en considérant que ces erreurs ont sérieusement affecté sa décision et a renvoyé cette question à la Chambre de première instance pour un nouvel examen de la détention de M. Gbagbo. Dans sa décision, la Chambre d’appel a souligné qu’elle ne suggère pas quel devrait être le résultat de ce nouvel examen par la Chambre de première instance », soutient le juge-président de la Chambre d’appel, Piotr Hofmanski. Selon lui, les juges de la chambre de Première instance ont commis une erreur au niveau de la durée de détention du président Gbagbo. « Dans de telles circonstances, la Chambre d’appel estime que la Chambre de première instance aurait dû examiner la durée de temps que M. Gbagbo a passé en détention parallèlement aux risques en cours de révision et devrait déterminer si, pour tous les facteurs, la détention de M. Gbagbo demeure raisonnable. La Chambre d’appel constate donc que la Chambre de première instance a commis une erreur », motive Piotr Hofmanski. Au niveau de l’âge et de la présomption d’innocence du président Gbagbo, une erreur a été commise par la Chambre de première instance I, estime encore la Chambre d’appel. « La Chambre de première instance a considéré à tort que l’âge de Gbagbo militait en faveur du maintien de sa détention. En outre, malgré la présomption d’innocence et le droit de M. Gbagbo de ne pas être obligé de témoigner ou d’avouer la culpabilité, la Chambre de première instance s’est fondée à tort sur le fait qu’il a nié la responsabilité des crimes dont il est accusé. Elle n’a pas non plus tenu compte de la durée de la détention de M. Gbagbo et de son état de santé », note le juge-président. Non sans renvoyer les juges de la Chambre de première instance I à leur copie. « La Chambre d’appel estime que ces erreurs ont eu une incidence importante sur la décision attaquée. Dans ces conditions, la Chambre d’appel estime qu’il convient de renverser la décision attaquée et de remettre la question à la Chambre de première instance pour un nouvel examen de la décision relative à la détention de M. Gbagbo, en vertu du paragraphe 3 de l’article 60 du Statut, facteurs. Cette question a été renvoyée à la Chambre de première instance parce qu’une évaluation de cette nature devrait être prise en première instance par la Chambre « qui a le contrôle quotidien de l’affaire et une connaissance approfondie du contexte factuel complet ». En prenant cette décision, la Chambre d’appel souligne qu’il ne s’agit pas de proposer ou de prédéterminer l’issue du nouvel examen de la Chambre de première instance. Toutefois, la Chambre de première instance devrait procéder à cet examen en gardant à l’esprit les directives de la Chambre d’appel concernant la loi, comme il est indiqué aux paragraphes ci-dessus, et sa décision devrait être motivée de manière appropriée, y compris en ce qui concerne sa référence aux éléments qui peuvent étayer sa décision, s’il en est la conclusion, que la détention devrait être maintenue. Avant de rendre sa nouvelle décision, la Chambre de première instance devrait décider si les parties devraient avoir la possibilité de déposer de nouvelles soumissions », conclut le juge-président de la Chambre d’appel. Le nouvel examen suggéré a eu lieu, et les juges sont restés carré sur leur décision initiale. Ce qui n’enlève en rien au caractère historique de la décision de la Cour d’appel. En refusant de suivre les recommandations de la Cour d’appel, les juges n’ont qu’obéi à leurs egos. Le temps, qui est l’autre nom de Dieu, comme aime à le dire Laurent Gbagbo, finira par éroder ces egos et amener les juges à sainement apprécier le dossier de la libération de Gbagbo.
Le témoignage de l’ex-chef d’état-major « pulvérise » les chefs d’accusation.
L’année 2017 a également été marquée par le témoignage de Philippe Mangou, ex-Chef d’état-major des armées. Il était très attendu. Car au fait des informations secrètes du théâtre des opérations. Lui-même s’est défini comme « témoin à charge important ». Donc, il y avait là l’occasion pour l’accusation de confondre Gbagbo sur deux points importants du procès : le meurtre supposé des femmes à Abobo, le 3 mars 2011 et le bombardement du marché Siaka Koné, au moyen d’obus, le 17 mars de la même année. A la question de Mc Donald «Avez-vous été informé de la marche des femmes à Abobo ?», voici la réponse de Mangou : «J’ai été informé par deux personnes. La première personne est le Général Palasset des forces impartiales. La deuxième personne, c’est le ministre de la Défense. Il m’a appelé pour me demander si nos éléments avaient effectué des tirs sur des femmes à Abobo. La première chose que j’ai faite, c’est d’appeler Detho Letho pour lui demander s’il est informé de ce qu’une marche s’est effectuée à Abobo. Il m’a dit non. Je lui ai demandé également s’il était informé de ce que nos hommes auraient tiré sur des femmes. Il m’a dit non. Je suis donc allé vers le ministre pour lui dire que suite à une enquête interne que nous avons menée, nos hommes n’ont pas effectué de tirs sur des femmes. Nos hommes s’étaient retirés au camp commando et ils n’ont pas fait de manœuvre ce jour-là. Donc nos hommes n’étaient pas impliqués. A l’issue du compte rendu, le ministre m’a demandé de faire un communiqué…». Qu’en est-il du bombardement du marché Siaka Koné d’Abobo ? Là encore, Mangou va briser le rêve de l’accusation. «Comment vous avez appris que des obus étaient tombés dans le marché d’Abobo ?» Questionne l’Accusation. «Là également ce sont les forces impartiales qui nous ont informés. Et je crois que le ministre de la défense aussi a dû être informé par les ces mêmes forces impartiales, mais aussi par un groupe de journalistes,» a indiqué le témoin. Ajoutant que «c’est le Général Palasset qui m’a informé. Et là il m’a dit qu’il y a eu, je crois 3 morts.» «Avez-vous enquêté sur cette affaire?» Réplique McDonald. «Comme dans toute opération, quand ce genre d’évènement survient, on arrête l’opération, on mène une enquête pout s’assurer si ce sont nos hommes qui sont en cause. Donc l’enquête interne a été faite,» rassure Mangou. Poursuivant, l’ex-Cema précise : «L’enquête interne avait pour but de chercher à savoir si effectivement nos éléments avaient effectivement tiré sur le marché. Non, ils n’ont pas tiré. Et quand nous voyons les caractéristiques de mortier 60, comme je l’ai souligné, qui est une arme d’infanterie, avec laquelle on peut effectuer un tir de 100 à 1000 m. Nos éléments étaient au camp commando. A vol d’oiseau, ça peut être 1500 à 2000 m. Et puis au camp commando, il y a quand même de grandes bâtisses. Mettre un mortier 60 en batterie, ne pas avoir de visuel avec le marché et effectuer des tirs, cela nous a semblé vraiment impossible. Detho Letho nous a plutôt dit que nos éléments avaient utilisé des grenades, mais pas de tirs de roquette et de mortier 60…». A la lumière des ces réponses et de la qualité du témoin, on découvre que Gbagbo a été accusé à tort. Quand on sait que ce sont ces faits qui ont précipité le vote de la Résolution 1975, qui a permis à l’armée française de faire la guerre à Gbagbo, on est stupéfait. Sur la base du faux, avec à chaque fois, comme chef d’orchestre, un officier français, le sieur Palasset, on a provoqué la guerre en Côte d’Ivoire. Plus injuste, Gbagbo croupit en prison depuis 2011. Les faits dont le caractère sacré s’impose dans le temple de Thémis, n’arrivent toujours pas à le sortir de là. La politique ayant fait entrée dans le prétoire. Mais la justice a encore un sens. Celui qui transcende les barrières raciales. Car il n’y a pas de justice pour les Blancs, une pour les Noirs. Il y a une justice. Unique. Celle qui obéit à l’habeas corpus. Celle-là a fait sortir Mandela de prison. Elle fera sortir Gbagbo de prison. Parce que l’ex-numéro 1 ivoirien reste parmi les hommes politiques de son pays, celui qui a beaucoup donné pour la paix. Mais surtout, parce que, comme le rappelle à bon escient François-Xavier Robert, de l’Ordre des agronomes du Québec, « le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l’accusé ». Cela s’appelle le doute raisonnable.
Une analyse de Yeshua Amashua