Le 19 janvier 2018, le dernier témoin appelé par le procureur a fini de témoigner. Le 9 février 2018, la Chambre a rendu son «Ordonnance relative à la poursuite de la procédure» («première Ordonnance sur la conduite des procédures»). Suite à un certain nombre de demandes de prolongation par les parties, le procureur a été autorisé jusqu’au 19 mars 2018 à déposer un «Mémoire de procès» et les équipes de la Défense jusqu’au 23 avril 2018 pour répondre. Le 19 mars 2018, le procureur a déposé son «Mémoire de mi-procès», en fournissant le récit de son cas en référence à la preuve soumise à ce stade du procès. Cependant, le procureur a soutenu qu’il n’était «pas possible de réciter […] tous les éléments de preuve pertinents» et ne traitait que «des questions qu’il considérait comme importantes et s’efforçait de les soutenir avec des sources jugées pertinentes». Le procureur s’est également expressément réservé le droit de présenter d’autres arguments au cas où la Défense soulèverait « des contestations spécifiques de la suffisance de la preuve. Le 23 avril 2018, la Défense de M. Blé Goudé et la Défense de M. Gbagbo ont déposé leurs observations sur la poursuite du procès. Les deux accusés ont estimé que le procureur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une déclaration de culpabilité et indiqué qu’ils avaient l’intention de présenter des requêtes contestant la véracité des éléments de preuve du procureur et demandant leur acquittement total. Le 1er juin 2018, la « décision relative à la présentation par le procureur de preuves documentaires les 28 avril, 31 juillet, 15 et 22 décembre 2017 et les 23 mars et 21 mai 2018 » a été déposée. Ceci a mis fin à la présentation de la preuve par le Procureur.
Analyse
La Chambre a examiné le Mémoire du procès. Il a noté que, malgré quelques changements mineurs concernant un nombre limité d’allégations, l’exposé global est resté essentiellement le même que celui qui figurait dans le mémoire préalable au procès. Les deux accusés soutiennent qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour condamner l’un ou l’autre sur la base des charges confirmées par la Chambre préliminaire. La Chambre est consciente, à cet égard, de la décision rendue par la Chambre d’appel dans l’affaire Ntaganda en ce qui concerne les requêtes «sans suite». Selon la Chambre d’appel, les parties ne peuvent pas obliger la Chambre de première instance à entendre des requêtes «sans suite» et une Chambre de première instance «peut décider de conduire ou de refuser de conduire une telle procédure dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire». La Chambre d’appel a souligné que chaque affaire peut être différente et que la Chambre de première instance a le devoir d’équilibrer l’opportunité et l’équité compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, à condition que le procès reste équitable et rapide conformément au paragraphe 2 de l’article 64 et 64 (3) (a) du Statut. La Chambre est d’avis que, dans le cadre de sa responsabilité d’assurer l’efficacité et l’équité de ces procédures, elle doit veiller à ce que le procès ne dure pas plus longtemps que nécessaire. Cela exige que la Chambre élabore des mesures procédurales appropriées qui «contribuent à un procès plus court et plus ciblé, offrant ainsi un moyen d’accroître l’économie et l’efficacité judiciaires d’une manière qui favorise la bonne administration de la justice et les droits d’un accusé». En conséquence, la Chambre estime que, à ce stade, la manière la plus appropriée et la plus efficace de procéder à la lumière de ses obligations statutaires est d’autoriser la Défense à présenter des observations concises et ciblées sur les questions factuelles spécifiques pour lesquelles, à leur avis, la preuve présentée est insuffisante pour justifier une déclaration de culpabilité et à l’égard de laquelle, en conséquence, un jugement d’acquittement total ou partiel serait justifié. Plus précisément, la Défense est invitée à expliquer pourquoi il n’y a pas suffisamment de preuves susceptibles de justifier une condamnation. Afin de ne pas aller à l’encontre de leur objectif, et à la lumière du stade atteint par ces procédures, de telles communications doivent être déposées et résolues rapidement. La Chambre laisse à la discrétion des équipes de la Défense le soin de décider de l’organisation de leurs soumissions, et en particulier si elles souhaitent traiter séparément et spécifiquement chacun des éléments des crimes et des formes de responsabilité incriminés. La Chambre observe que, conformément à l’article 142 (2) du Règlement, elle doit décider séparément de chaque chef d’inculpation et séparément des accusations portées contre chaque accusé. La Chambre est également d’avis qu’il n’est pas approprié de fixer une limite de page précise pour les requêtes à déposer conformément à cette ordonnance et qu’il est préférable de laisser aux parties le soin de décider de la portée à leur donner. Néanmoins, les parties sont invitées à déposer des observations écrites concises et ciblées qui sont propices à un examen efficace par la Chambre. Compte tenu de la nature criminelle du procès et en vue de la pleine application des principes primordiaux de la publicité et de l’oralité de la procédure, la Chambre considère qu’il est également nécessaire, une fois qu’elle a reçu les observations écrites, de tenir une audience publique afin d’entendre d’autres observations et de permettre aux parties de répondre à des questions précises des juges. Dans la mesure du possible, la Chambre s’efforcera d’informer les parties de ces questions avant l’audience, sans préjudice des autres questions posées par les juges au cours de l’audience. Ces arguments aideront la Chambre à déterminer si les éléments de preuve présentés par le procureur suffisent à justifier la poursuite du procès et à entendre les éléments de preuve de l’accusé, ou si la Chambre devrait immédiatement rendre son appréciation finale de tout ou partie des charges.
Par ces motifs, la chambre, par la présente, la Chambre : « déclare que la présentation des éléments de preuve du procureur est close, ordonne à la Défense de M. Gbagbo et à la Défense de M. Blé Goudé de déposer, au plus tard le 20 juillet 2018, des conclusions sur les questions pour lesquelles, à leur avis, les moyens de preuve présentés par le procureur ne suffisent pas à justifier une condamnation, ordonne au procureur et à la représentante légale des victimes de déposer, au plus tard le 27 août 2018, leur réponse, selon les mêmes modalités, décide de tenir une audience, à compter du 10 septembre 2018 et d’y proroger le cas échéant, pendant laquelle les parties et les participants seront autorisés à illustrer ou à compléter leurs conclusions, ainsi qu’à répondre aux arguments de l’autre partie et aux questions éventuelles de la Chambre ».
Le juge Cuno Tarfusser, juge-président
Juge Olga Herrera Carbuccia, juge Geoffrey Henderson
En date du 4 juin 2018
A La Haye, Pays-Bas