Peuplement de la Côte d’Ivoire : L’ORIGINE DES IVOIRIENS

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Les hommes sont tous témoins de l’histoire ; et tous autant qu’ils sont, ont la responsabilité de donner leur avis et éclairage sur sa marche. C’est pourquoi aujourd’hui, Nous dépoussiérons notre plume pour donner notre part de vérité sur ce que nous considérons être une grosse erreur ou pis, un puant mensonge. Notre objectif est là, en un mot comme en mille : ECLAIRER. Eclairer les Ivoiriens dont la conscience a été bridée depuis trop longtemps

 

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On a eu pour coutume de nous dire que le peuplement de la Côte d’Ivoire résulte des différentes vagues migratoires des peuples voisins de l’actuel territoire ivoirien.

 

L’ABERRATION

Si nous avons bien étudié nos cours d’histoire, avant le dixième siècle, aucun homme n’habitait la Côte d’Ivoire. De l’actuelle localité de Prolo au sud-ouest à Doropo au nord-est ; de Sokoro au nord-ouest à Frambo au sud-est, aucun homme, aucune femme n’habitait ce territoire. 322.462 kilomètres carré de désert humain. On trouvait ici dans nos forêts : biches, serpents, rats, hérissons, éléphants, buffles, moustiques et leurs cousins mouches, chauves-souris, gazelles etc. les oiseaux peuplaient la canopée et les airs. Les poissons abondaient dans les eaux. Mais aucun homme. AUCUN. Pendant ce temps, les actuels Liberia, Guinée, Mali, Burkina Faso, Ghana, tout ce territoire ceinturant la terre d’Eburnie, grouillait du genre humain. ET CHEZ NOUS, PERSONNE.

 

Et puis soudain à partir du dixième siècle de “notre ère”, comme poussées par des forces centrifuges inexplicables et synchronisées, des hordes de communautés viennent assaillir ce no man’s land.COMMENT EST-CE POSSIBLE ?

 

CELUI PAR QUI LE SCANDALE ARRIVE

 

LE CAS DES KROU

Au commencement, était Maurice Délafosse. Un ethnologue Français arrivé dans le territoire de Côte d’Ivoire en 1894 qui fait de nombreux travaux sur les ethnies et langues Africaines. En 1904, il publie « vocabulaires comparatifs de plus de 60 langues ou dialectes parlés en Cote d’Ivoire ». Dans ce livre, Delafosse dit que les Krou constituent un groupe linguistique éburnéo-libérien qui a pour épicentre, l’actuel territoire du Libéria. Que cela veut-il dire ? simplement que les langues Krou étaient parlées sur un territoire qui va de l’actuelle Côte d’Ivoire jusqu’à l’actuel Sierra Leone, et que le centre géographique de cette aire linguistique peut être situé dans l’actuelle zone Libérienne. Cela ne veut pas dire que les Krou ont pris leur Baluchons depuis le Liberia pour venir essaimer ici, en terre d’Eburnie.

 

Or, c’est justement ce travail de Maurice Delafosse qui a été donné comme prétexte pour dire que les Krou viennent du Liberia. Mais cette théorie « post-Delafosse » souffre de deux tares :

 

1 – Maurice Delafosse n’est pas historien, mais linguiste et ethnologue. Il a fait un travail essentiellement linguistique : l’étude comparée des langues, en les regroupant par similitudes. Il ne parlait donc pas de migration d’un lieu à un autre mais de similitudes linguistiques dans un espace géographique donné. Le titre même de son ouvrage est univoque : (vocabulaire comparé …). Delafosse ayant travaillé sur les autres groupes ethniques (Mandé, Gour, Akan), les mêmes erreurs d’interprétation (ou les mêmes mensonges idéologiques) se sont propagées pour aboutir à la théorie de peuplement de la Côte d’Ivoire par vagues migratoires sur ce territoire.

 

2 – Maurice Delafosse a publié son livre en 1904. L’écriture de l’œuvre a donc été achevée au plus tard cette année-là. Or, en ce début de vingtième siècle, dans beaucoup de contrées, les territoires de Côte d’Ivoire sont en pleine résistance plus ou moins armée à la pénétration coloniale. Cette atmosphère n’est pas propice aux enquêtes qui auraient pu permettre de récolter suffisamment d’informations judicieuses. De plus, Delafosse n’a travaillé en Côte d’Ivoire que trois ans, puis qu’il a été fait consul de France au Liberia en 1897. Il reviendra dans la colonie de Côte d’Ivoire en 1899, mais comme diplomate, pour organiser la délimitation (en tant que partie française) de la frontière entre la Côte d’Ivoire et la Gold Coast (actuel Ghana) voisine. D’ailleurs, B. Holas, dans son livre « L’image du monde Bété », édition PUF, 1968, à la page 344, a jugé le travail de Delafosse (en ce qui concerne la classification Bété) de peu rigoureux.

 

Cette théorie de la migration Krou venue du l’actuel Liberia est officiellement battue en brèche par l’ORSTOM (Office de Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer), aujourd’hui IRD. Il faut souligner que l’IRD (ex ORSTOM) est une institution publique de l’Etat Français, à caractère scientifique. En effet, le 6 mars 1972, l’éminent docteur Alfred SCHWARTZ, chercheur à l’ORSTOM exposant devant l’Autorité pour l’Aménagement de la Région du Sud-Ouest (ARSO), présidée par son PDG Emmanuel DIOULO et en la présence de celui-ci déclarait : « QUELQUES INDIVIDUS ou quelques groupements isolés, actuellement établis dans l’ouest peuvent effectivement être venus du Liberia. Mais d’une manière générale, il n’y a aucune ethnie sans son ensemble qui soit venue du Liberia ».

 

LE CAS DES AKANS

Certains esprits peuvent être sceptiques, surtout en ce qui concerne le peuple AKAN quand on sait que les migrations Akan ont été abondamment documentées.

 

Après le décès du Roi Osei Tutu en 1717, une guerre fratricide de succession oppose les heritiers, notamment Opoku Ware et Daakon. Ce conflit a pour conséquence en 1718, la défaite et l’assassinat de ce dernier. Abraha (Abrewa) Pokou, sœur ainée du défunt, rassemble les partisans du prince défunt et commence une fuite vers l’ouest.  Ils sontAccueillis et hébergés dans le royaume Agni de l’Ebrossia (dans l’actuel Moronou). Mais après une guerre 1721 où le royaume de l’Ebrossa est défait, les fugitifs rescapés s’enfoncent encore dans la forêt. Ils traversent le Comoé au niveau des rapides de Mlan-Mlanso et atteignent Tiassalé (O’tchê-O’salô). Ce qu’on ne dit pas aux ivoiriens, c’est que ces fugitifs, les Assabou-Asante devenus Wa’Wlé (Baoulé), ont rencontré dans la zone, un peuple autochtone qui y habitait déjà depuis des siècles et peut-être des millénaires : les Asrin. La zone était donc déjà peuplée depuis longtemps. Nous en reparlerons plus tard. Ce qu’on sait, c’est qu’Abrewa (la vieille) Pokou installe là, un sous-groupe qui sera appelé Elomouin afin de surveiller les rives du Bandama et les Souamlin un peu plus loin (sur ce qui sera plus tard Taabo) et se dirigera avec le reste du groupe vers le nord. Nous vous épargnons les détails. Dans les Pérégrination, les Wa’Wlé rencontrent un peuple multiséculaire, les Gbomi qui sont dans les actuels localités Gbomizambo et Gbomi-Kondéyaokro. Arrivé dans l’actuel Bouaké, les Baoulé rencontrent un autre groupe d’autochtones : les Koueni (actuels Gouro) avec qui, ils cohabitent. Le premier peuple connu habitant l’actuel Bouaké, ce sont les Gouro.

 

Un autre événement : la Reine Akoua Boni, ayant succédé à Abraha Pokou en 1730, installe un détachement guerrier dans l’actuel Béoumi et lui demande d’aller faire des conquêtes dans l’ouest et le nord. « Kô-n’dê, bla-n’dê » donne-t-elle comme instruction : allez vite exécuter la mission, et revenez vite. Ce groupe de guerriers s’appelle depuis, les Kôdê (Kô-n’dê) ou Gôdê.Mais pourquoi faire des conquêtes militaires dans une zone impeuplée. Assurément, le territoire était occupé ? il y avait dans cette zone d’expansion Baoulé, de nombreux peuples, dont les Wan autochtones depuis des siècles, et peut-être des millénaires.L’histoire de la migration Wa’Wlé montre donc que le territoire était déjà peuplé pendant cette période

 

LES MAL GENS

Revenons dans le sud-ouest ivoirien. Après la chute de Constantinople en 1453, la route des épices passant de l’Europe orientale jusqu’aux Indes étant fermée, les Européens se voient dans l’obligation de contourner l’Afrique pour arriver dans les Indes. Au milieu du quinzième siècle, attirés par les épices, les Portugais prennent pieds au cap des palmes (Cabo das Palmas) et à la côte des graines ou de la malaguette (une espèce de poivre prisé en Europe). Ce territoire part de l’extrême est de l’actuel Liberia, jusqu’à l’actuelle zone de San Pedro.C’est sur ce territoire du sud-ouest ivoiriens qu’un malheur est arrivé aux occupants d’un navire Flamand (Hollandais). Le Navigateur Pacheco Pereira raconte : « en l’an de notre Seigneur Jésus-Christ 1475, fut armé en Flandre, un navire de Flamande avec un pilote Castillan (…) à leur retour (…), ils revinrent sur cette plage des esclaves (une plage de la Côte des Graines). Mais comme sur cette côte, le fond est plein de rochers, l’amarre se coupa pendant la nuit et le vent soufflant de la mer poussa ce navire sur cette plage où il périt. Les nègres mangèrent les 35 flamands qu’il y avait sur ledit navire. Nous l’avons appris par lesdits nègres, et par Pedro Gonçalves Neto qui l’année suivante, fut envoyé là comme capitaine d’un navire et qui parvint à avoir (à racheter) presque tout l’or que lesdits Flamands avaient traité, ainsi que la plupart de leurs vêtements ». C’est ce triste événement pour les Flamands qui a fait appeler cette zone, Costa de Malagens (la Côte des mal Gens).Au-delà de l’histoire rocambolesque du peuple nègre qui mange 35 Européens, et revendent leur or ainsi que leurs vêtements un an après, à un Portugais, nous retenons qu’a cette période du quinzième siècle un peuple autochtone était solidement implanté dans cette zone, et ne semblait pas être nomade, mais plutôt très enraciné déjà à cette époque. Ce qui fait penser à une présence multiséculaire. Alors qu’on nous dit que les Krou sont arrivés dans cette zone dans cette même période du quinzième siecle.

 

LES VESTIGESS

Si comme nous le soutenons, la Côte d’Ivoire n’a pas été peuplée que par les vagues migratoires de ces derniers siècles, mais depuis plus longtemps, la terre d’Eburnie doit laisser des témoignages de cette présence.

 

Les preuves abondent. Nul n’est besoin de les énumérer toutes. Comme vestiges matériels, on a les figurines de Gohitafla. Des statuettes anthropomorphes et zoomorphes en pierre de latérite, découvertes par un couple de paysans dans ladite région. D’après la datation au carbone 14, ces figurines ont entre 7.000 et 5.000 ans. Cela veut dire qu’il y avait à cette époque, des hommes dans l’actuelle région de la Marahoué, des hommes qui ont taillé ces pierres. Il ya aussi les amas antropiques (coquilles, poteries,outils) disséminés sur toute la bande littorale. Il y a par exemple l’amas coquillier de Dabou que nos augustes autorités, au lieu d’en faire une zone protégée afin d’y mener des recherches plus approfondies, ont préféré transformer en dépotoir municipal de Dabou. Les amas coquilliers de N’Gatty et de Songon Dagbé par exemple existent depuis au moins 3.300 ans.

 

LA LANGUE

Nos langues aussi témoignent du peuplement humain de notre pays depuis plus longtemps qu’on ne veut le laisser croire. Les Magwé sont le premier peuple ; dans l’état actuel de nos connaissances, habitant la présente aire géographique Bété (nos le verrons plus bas). Un vaillant guerrier de ce peuple était nommé Magou Gnawré ou Magrou Gnawré (Gnahoré le Magwé). B. Holas, « L’image du monde Bété », édition PUF, 1968, à la page 88. De cette information, nous retenons trois choses :

 

1 – La confirmation d’un peuplement ancien.

 

2 – « Gnahoré » étant un actuel nom propre actuel Bété, on en déduit que les Bété ont gardé certains noms Magwé.

 

3 – La signification du nom propre Magwé « Gnahoré », semblable au Bété (Gna-Wré = Latex-Pur) montre qu’il y a dans le vocabulaire Bété certains termes magwé qui persistent jusqu’à aujourd’hui.

 

Bien-sûr, cette situation n’est pas propre qu’au peuple Bété. Le peuple Assabou qui fuyait Kumassi au debut du XVIIIème siècle avec Abraha Pokou parlait Twi. Aujourd’hui, son parlé a quelque peu changé, certes après le passage dans le Royaume Agni d’Ebrossa mais aussi avec les peuples anciens tels que les les Asrin, les Gbomi, les N’Gan, les Koueni, les Wan… D’ailleurs, dans le tome 1 de « Etude régionale de Bouaké 1962 -1964 édité par le ministère ivoirien du plan, il est noté à la page 103 que « les Kôdè de Béoumi se différencient des autres baoulé à la fois par leur accent très spécial et par un vocabulaire en partie emprunté aux Gouro (Kouéni) et aux Wan ». Il est SURTOUT écrit plus loin : « considérer le groupe ethnique Baoulé comme un rameau pur et simple du groupe Ashanti constituerait une erreur importante ».

 

Il est donc absurde de penser que la Côte d’Ivoire ait pu être impeuplée pendant des millénaires, pendant que tous les territoire autour étaient habités par des hommes. D’ailleurs, on a trouvé des traces de vie humaine sur notre terre depuis au moins 5000 ans. Si donc, le peuplement humain de la Côte d’Ivoire n’est pas dû exclusivement aux vagues migratoires, quels sont hommes qui habitaient le pays avant les nouveaux arrivants ?L’historien Ivoirien Jean-Noël Loucou, dans son livre « Histoire de la Côte d’Ivoire – tome 1, la formation des peuples », fait la cartographie des peuples anciens de la Côte d’Ivoire. Il présente les groupes ethniques anciens, qui étaient installés sur les aires géographiques des grands groupes actuels.

 

Sur l’aire géographique Krou actuelle, il énumère ceux qu’il appelle les proto-Krou. Ce sont les Magwé, les Wê, les Séhinon, les Pléhon, les Nasso, les Kotrohou, les Zéhiri, les Ega.

 

Sur l’aire géographique Mandé actuelle, il énumère les proto-Mandé. Ce sont les Toura ou Wennembo, les Wan, les Gban (Gagou), les Koueni (Gouro), les Mona, les N’Guin.

 

Sur l’aire géographique Akan actuelle, il énumère les proto-Akan. Ce sont les Ehotilé, les Krobou, les Ahizi, les Adjéké, les Brekogonin, les Adissi, les Asrin, les Agoua, les Pépéhiri, les Gbomi, les Goli, les Ananfo.

 

Sur l’aire géographique Gour actuelle, il énumère les proto-Gour. Ce sont les Falafala, les Gouin, les Zazéré, les Nabé, les Lohron, les Myoro.

 

Les peuples que nous avons en Côte d’Ivoire sont donc le résultat de multiples interférences entre autres, les peuplades émigrantes souvent marginales et celles qu’elles ont trouvé sur cette terre. C’est cette vérité qu’on veut nier avec la théorie kafkaïenne du peuplement du pays par vagues migratoires.

 

*Noel KOUKOUGNON*

Géographe et ingénieur.

 

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