Alassane Ouattara et Aimé Henri Konan Bédié sont deux héritiers de la cour. L’un était président de l’Assemblée nationale, dauphin putatif, grâce au défunt article 11 de la première Constitution de la Côte d’Ivoire moderne, l’autre était Premier ministre le visage du pouvoir au moment où Félix Houphouët-Boigny luttait contre un mal pernicieux qui a fini par l’emporter. Ce qui se passe en ce moment entre les deux héritiers de la Cour convoque à l’analyse de l’éthique politique. Certes la lutte féroce pour s’emparer du pouvoir vacant suite au décès de père a laissé des traces dans leurs relations. Mais du duel ils sont parvenus à un duo de circonstance pour éjecter « l’intrus » Laurent Gbagbo du pouvoir en 2010/2011. L’on croyait que la haine réciproque née de la lutte pour le pouvoir avait été envoyée au cendrier de l’histoire. Que non. L’appétit gargantuesque des lambris dorés du pouvoir a fait revenir à la surface le naturel. Ne dit-on pas que « tu as beau chasser le naturel, il revient toujours au galop » ? Une fois l’ennemi commun envoyé au sous-sol de l’humanité au pénitencier de Scheveningen, la lutte pour le pouvoir a repris. L’Appel de Daoukro lancé par Bédié dans la capitale de l’Iffou, en 2014, était censé installer une alternance au pouvoir d’Etat. En voici la quintessence : « A Daoukro, je réitère, de façon plus explicite, ce message que je ferai valider par une Convention jumelée du PDCI-RDA et du RDR au sein du RHDP dont j’assume la Présidence.
En attendant, sans trahir les décisions du XIIème Congrès du PDCI-RDA, je donne des orientations fermes pour soutenir ta candidature à l’élection présidentielle prochaine. Je demande à toutes les structures du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire et des partis composant le Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix, de se mettre en mouvement pour faire aboutir ce projet.
Tu seras ainsi le candidat unique de ces partis politiques pour l’élection présidentielle de 2015 sans préjudice pour les irréductibles qui voudront se présenter en leur nom propre.
L’objectif d’une telle candidature est double : d’abord, assurer le succès du RHDP aux élections de 2015 dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire et de la paix.
Ensuite, aboutir à un parti unifié, PDCI-RDR, pour gouverner la Côte d’Ivoire, étant entendu que ces deux partis sauront établir entre eux, l’alternance au pouvoir dès 2020 ».
A l’orée de 2020, précisément, en 2018, les discours du camp de l’actuel président se détachent violemment de l’appel de Daoukro. Le président lui-même a jeté le trouble, en déclarant en privé, que c’est le meilleur d’eux (PDCI-RDR) qui prendra le pouvoir en 2020. Provoquant ainsi l’ire du président du PDCI, Henri Konan Bédié. Celui-ci a décidé de claquer la porte du RHDP la même année 2018, non sans les coups de boutoirs de son allié Ouattara. Des cadres et non des moindres, sont incités à lâcher le timonier de Daoukro. A leur tête un certain Daniel Kablan Duncan qui a naïvement cru qu’étant issu du PDCI, Ouattara lui ferait la passe en 2020. A son grand désarroi c’est sur un fidèle Amadou Gon Coulibaly que Ouattara va porter son choix. In fine, le décès de ce dernier ouvre le boulevard à un troisième mandat. La suite on la connait. Mais ne nous dispersons pas. Restons focus sur l’éthique politique. Comme en 2018, l’ex-allié remet à nouveau le couvert des débauchages. Goli Dodo, irréductible de Bédié. N’Dri Narcisse, ancien directeur de cabinet de Bédié, N’Dohi Yapi Raymond, ancien maire Pdci de Koumassi, pour ne citer que ces poids lourds. D’aucuns diront à la guerre comme à la guerre. Qu’un cadre du PPACI comme Franck Anderson Kouassi rejoigne le RHDP, parce que frustré, ou qu’Affi rejoigne Ouattara, cela peut se comprendre. Mais planifier comme le fait le RHDP, à coups de pressions et de chantages, un recrutement au forceps au PDCI donne du jeu politique un visage laid. Dans la droite ligne de ce qui se dit sous les tropiques, du genre « la politique n’a pas de morale », ou encore « en politique on ne fait pas la passe à l’adversaire ». Soit. Mais nous partageons ce plaidoyer d’Emmanuel Sieyès pour dire « la politique c’est un minimum d’éthique et de bon sens. L’éthique tout court c’est ce qu’il faut à une société qui veut avoir un repère. Et le parti présidentiel a la lourde responsabilité de porter les valeurs cardinales. Que ce soit ce parti qui sème la division dans les partis politiques, cela va l’encontre du serment prononcé par le garant de la constitution. « Devant le peuple souverain de Côte d’Ivoire, je jure solennellement et sur l’honneur de respecter et de défendre fidèlement la Constitution, de protéger les droits et libertés des citoyens, de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge dans l’intérêt supérieur de la Nation. Que le peuple me retire sa confiance et que je subisse la rigueur des lois si je trahis mon serment », est-il stipulé. Adhérer au parti politique de son choix ne fait-il pas partie des libertés individuelles ? Ce n’est pas nécessaire de répondre.