La tentation est grande. Proportionnellement aux risques de confrontations. A l’aube des élections présidentielles de 2020, des chefs d’Etat veulent modifier les constitutions et/ou se présenter pour un troisième mandat contre les articles pertinents des lois fondamentales de leur pays. Maniant ainsi de la dynamite.
Le Sénégal de Macky Sall, le Mali d’Ibrahim Boubacar Kéita, pour ne citer que ces deux pays, ont réussi leur examen de passage « démocratique ». Certes, avec un mécontentement de leur opposition respective, mais tout de même sans grands dégâts postélectoraux. Le cycle électoral devait se poursuivre l’an prochain avec l’entrée en lice des pays comme la Guinée, la Côte d’Ivoire…Cela soulève déjà des inquiétudes d’autant que dans les pays cités, la tentation de la modification constitutionnelle et/ou d’un 3e mandat est grande.
Les inquiétudes à l’Onu
Selon l’Onu, cela augmente les risques de tensions politiques. Le Représentant spécial du Secrétaire général et Chef du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest (Unowas), M. Mohamed Ibn Chambas, a présenté quatre messages clefs début Aout 2008. Au nombre de ceux-ci, la question électorale en Afrique de l’Ouest. Faisant le point de la situation devant le Conseil de Sécurité de l’Onu, il dira : « Cependant les périodes pré et post-électorales ont été marquées par des tensions et des contestations, au sujet notamment d’amendements constitutionnels et non consensuels ». Pour M. Chambas, « l’une des priorités est de se pencher sur les potentielles sources de conflit à l’aube des cycles électoraux présidentiels de l’année à venir au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Ghana, en Guinée, au Niger et au Togo ». Le dernier pays cité laisse dans la mémoire collective les incessantes marches et autre opération « ville morte » de l’opposition en vue de parvenir à la modification constitutionnelle. Une Constitution jugée de « type monarchique » pour faire garder le pouvoir aux « Eyadema ». Les différentes médiations ne sont pas encore parvenues à mettre tout le monde d’accord autour d’un projet consensuel. Quant au Niger, il a surpris en donnant le bon exemple. « Moi, je suis un démocrate dans l’âme, je n’ai pas cette arrogance de penser que je suis un homme providentiel irremplaçable » assure Mahamadou Issoufou, président du Niger. Pour joindre l’acte à la parole, son parti a déjà investi son successeur, à 2 ans de la présidentielle de 2021. Il n’y a donc pas de soucis à se faire à ce niveau.
En Guinée, chacun retient son souffle
Ce n’est pas le cas de la Guinée du professeur Alpha Condé. Opposant historique à Lansana Conté, il est parvenu au pouvoir au terme d’une élection démocratique. Au soir de son deuxième mandat constitutionnel, il aurait succombé à la tentation d’un 3e mandat. En dépit des réticences de l’opposition politique et des ONG unies dans le Front National pour la défense de la Constitution (FNDC), le parti présidentiel, le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) a officiellement annoncé sa volonté de réformer la Constitution. Le chef de la majorité présidentielle au Parlement, Amadou Damaro Camara, a justifié cette réforme par le fait de moderniser les institutions et à apporter des changements positifs. Une prérogative constitutionnelle dont jouit le chef de l’Etat. En effet, la Constitution du 07 mai 2010 (article 51) donne le droit au Président Condé d’initier un projet de loi constitutionnel. Le hic, c’est le possible franchissement de la ligne pour un 3e mandat qui met vent debout ses opposants et la société civile. Questionné par des journalistes sénégalais le 20 avril 2019, sur ce possible glissement, le président guinéen s’est voulu énigmatique : « La souveraineté d’un peuple appartient au peuple. Seule la volonté populaire s’impose à tout le monde. Il revient au peuple guinéen s’il veut changer de Constitution ou pas ». En Avril 2017, il confiait au confrère Libération ceci : “Arrêtons avec cette vision dogmatique de savoir si la bonne chose est un, deux ou trois mandats. Cela dépend de chaque pays et de la volonté du peuple« . Disons que la limitation des mandats présidentiels à deux (2) en Guinée est clairement encadrée par la Constitution (articles 27 et 54). L’article 27 relatif aux mandats du Président de la République stipule : « la durée de son mandat est de 5 ans, recouvrable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non. » Aussi, l’article 54 dispose : « la forme républicaine de l’Etat, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’Etat, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandants du Président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision ». Cela devrait, a priori, freiner des quatre fers l’ambition de 3e mandat du Président Alpha Condé.
Côte d’Ivoire : le retour des vieux démons ?
Son homologue ivoirien, Alassane Ouattara est dans la même tentation. « La Constitution de 2016 me permet de faire deux autres mandats. Je n’ai pas encore pris ma décision. Je le ferai au moment opportun » déclarait-il encore ce mardi 6 AOUT 2019, sur les antennes de la RTI, télévision ivoirienne. Quand on sait qu’il est au terme de son deuxième mandat, c’est donc clair qu’il se profile à l’horizon la tentation d’un troisième mandat. Qui se heurte à l’hostilité de son opposition et d’une large partie de la société civile. Une enquête de l’Afrobaromètre en Côte d’Ivoire publiée courant juin 2018 note que « Huit Ivoiriens sur 10 (ce qui fait en termes de pourcentage 81%, ndlr) sont favorables au principe de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels ». Et l’Institut de faire une révélation: « Même parmi les répondants qui se sentent « proche » du parti au pouvoir, le Rassemblement des Républicains (RDR), 78% se sont prononcés d’accord avec une telle limitation pendant l’enquête menée en décembre 2016/janvier 2017 ». Notons que le RDR est l’un des ancêtres du RHDP, actuel groupement présidentiel et « qu’ Afrobaromètre est un réseau de recherche panafricain et non-partisan qui mène des enquêtes d’opinion publique sur la démocratie, la gouvernance, les conditions économiques, et les questions connexes en Afrique ». En effet, selon la Constitution de 2016, « Le Président de la République est élu pour 5 ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois (Art 55) ». Pour le Président Ouattara, la Nouvelle Constitution remet son compteur deux mandats à zéro. Et continue d’entretenir le suspense. Les réactions ne manquent pas. Le Sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires politiques, David Hale a invité, en février 2019 à Abidjan, le chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, à «respecter ses propres mots» en ne se présentant pas à l’élection présidentielle de 2020. «M. Ouattara a dit qu’il ne sera pas candidat. C’est quelque chose qui le condamne», a rappelé David Haye, qui s’exprimait sur la politique étrangère de son pays dans les locaux de l’Ecole nationale d’administration (ENA) de la Côte d’Ivoire. Pour le diplomate américain, le Président Alassane Ouattara «doit respecter ses propres mots ».
Le prix payé par Blaise Compaoré
Baobab de l’Afrique de l’Ouest, Blaise Compaoré s’était entêté à changer la Constitution pour briguer un autre mandat. Qui fut un mandat de trop, après 27 ans passés au pouvoir. La goutte d’eau a débordé le vase. Pour faire sortir le peuple burkinabé de son lit. La suite, on la connait. Le 31 octobre 2014, le puissant locataire du palais de Kosyam a été obligé de fuir son pays pour trouver refuge en Côte d’Ivoire. Le peuple a eu raison de lui.
Au demeurant, la proximité de Blaise Compaoré avec le chef de l’Etat ivoirien va-t-elle être bénéfique en termes de conseils ? L’avenir nous le dira. Quant au professeur Alpha Condé, il saura, sans nul doute, faire le choix qu’il faut pour que la Guinée, pays pour lequel il s’est tant battu en tant qu’opposant, puis comme Président, puisse connaitre paix et tranquillité.
Tché Bi Tché
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