Fraichement sorti de prison, Lida Kouassi Moise défraie la chronique avec une déclaration tonitruante sur un tabou qui n’en est pas vraiment un : le discours ethniciste. De quoi à l’affubler de toutes les épithètes ivoiritaires. « Aujourd’hui celui qui parle au nom des Dida de Lakota à l’Assemblée nationale s’appelle Kouyaté Abdoulaye. Je trouve inadmissible que celui qui parle au nom des Abbey à l’Assemblée nationale s’appelle Adama Bictogo, que celui qui parle au nom des Agni d’Aboisso s’appelle Sylla » tel est la quintessence de sa déclaration, même s’il a reprécisé plus tard sa pensée, sans remettre en cause le noyau. Entendons-nous bien ! Notre démarche à travers ces lignes n’est pas d’avaliser les propos de Lida Kouassi. Car, peu importe leurs motivations, ils heurtent le bon sens. Cela, au regard des enseignements de l’un des spiritualistes les plus érudits du monde contemporain, Maharishi Mahesh Yogi, le père de la Méditation transcendantale, auteur de la « Science de l’être et l’art de vivre », qui veut que l’on se garde de dire une vérité lorsqu’on qu’on est convaincu qu’elle troublera l’environnement. Plus en encore, les propos de Lida tendent à remettre en cause l’idée même de la démocratie. Si Adama Bictogo a eu à Agboville la majorité des voix, c’est que la majorité de la population de cette localité estime qu’il est habilité à la représenter à l’Assemblée nationale. Dénier à cette population ce choix, c’est remettre en cause leur sens de jugement. Et par-dessus tout, la démocratie, dont le mentor de Lida, Laurent Gbagbo, disait, qu’elle est la seule alternative, à même de cimenter et réguler une nation pluriethnique, donc pluriculturelle, comme la nôtre. Cela dit, mettons les pieds dans le plat. Notre société est par essence tribaliste. Depuis la réinstauration du multipartisme en 1990, le phénomène s’est accentué. Les citoyens ont gouté au fruit interdit du réflexe tribaliste. Majoritairement, les Bété se sont reconnus en Laurent Gbagbo, les Baoulé en Houphouët puis en Bédié et les Dioula en Alassane Ouattara. Mais à la différence d’Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo font des efforts pour rendre « national » et pluriethnique leur parti respectif. Ainsi, le Fpi et le Pdci s’efforcent à respecter la clause non écrite de la démocratie ivoirienne, à savoir faire la promotion de l’ethnie locale dans le choix des candidats. Les Ebrié sont promus à Abidjan, les Akyé dans les « 3 A », les Agni dans leur espace géographique, etc. Cette politique a permis à ces deux partis d’avoir une assise plus ou moins nationale. Il suffit de jeter l’œil à la cartographie électorale de 2010 pour s’en convaincre. Laurent Gbagbo par exemple a triomphé depuis l’Ouest jusqu’aux confins de l’Est, à Bondoukou, en passant Abidjan et le Sud. C’est ce fait qui est en question. Est-ce que le leader peut impulser une dynamique nationale à son parti, en faisant la promotion des natifs de toutes les régions de la Côte d’Ivoire ? Ou alors s’inscrira-t-il dans un monolithisme abject comme c’est le cas du Rdr d’Alassane Ouattara ? C’est la problématique à laquelle nous sommes convoqués à trouver une réponse. Et non s’attarder sur une déclaration certes maladroite, mais, qui, dans le fond, interroge. Raisonnons par l’absurde. Et imaginons le Rdr proposer 255 candidats, tous issus du septentrion du pays ou avec des noms à consonance nordique. Et que dans la même logique de l’absurde tous l’emportent. Quel sera la coloration du parlement dans un pays qui compte environ 60 ethnies ? Moi j’accuse les responsables du Rdr, en tête, Alassane Ouattara. Qui n’arrivent pas à intégrer des variables comme « promotion locale » dans la construction de leur parti. Sinon le Rdr est aussi tribal que le Pdci qui l’emporte quasiment toujours dans le V Baoulé. En tout état de cause, on ne peut pas brûler Lida Kouassi et épargner l’auteur de « On ne veut pas que je sois candidat, parce que musulman et du nord », celui-là même qui ne s’est pas gêné à déclarer : « C’est un simple Rattrapage, le Nord était exclu ». Si Lida doit consumer dans le feu du sectarisme, Ouattara doit le suivre, voire le précéder. Pour aseptiser notre vocabulaire politique, attaquons-nous à tous les foyers de repli identitaire.
Par Yeshua Amashua