Six mois pour présenter ses témoins. Voilà le délai demandé par Me Emmanuel Altit, conseil principal de Laurent Gbagbo. De quoi à enfler la polémique sur le jeu, qualifié par les détracteurs de trouble, des avocats du célèbre prisonnier, soupçonnés de faire trainer le procès dans le seul but de se faire du fric. Vrai ou faux ? Notre point de vue, tout en respectant celui des autres, tient compte des victoires d’étapes remportées par ces avocats. Mais surtout de la nature complexe du procès, éminemment politique, et comportant de nombreux tiroirs secrets. Liés à l’homme Gbagbo, à sa vision politique, à son approche des relations internationales. Pour nous, depuis l’ouverture du procès le 28 janvier 2016, les avocats de Laurent Gbagbo ont fait montre d’un talent qui invite à leur tirer le chapeau. Déboussolée par la méthode de Me Altit et ses camarades, l’Accusation s’est souvent embrouillée et a livré à la vindicte ses propres témoins. Du coup, ceux qui se réjouissaient des malheurs de Gbagbo et qui prophétisaient de le voir revenir de la Cpi « dans un cercueil » (le brevet de cette cynique citation est détenu par Amadou Soumahoro, dit Cimetière) éprouvent aujourd’hui l’effroi. « J’en appelle à la sérénité, au bon sens de tous nos concitoyens, à faire en sorte que ces procès ne divisent pas davantage nos concitoyens, maintenant que nous savons que les choses avancent bien, que la cohésion sociale se renforce », disait le président ivoirien, Alassane Ouattara, visiblement pris de court par la tournure des événements. « C’est un moment qui ne sera pas facile, se met-il à table. J’en appelle au sang froid des uns et des autres et faire en sorte que pendant que ces procès se tiennent, la Côte d’Ivoire continue de travailler pour la cohésion nationale ». Pourquoi la peur a changé de camp ? La vérité pointe le nez. Face aux « ouï-dire » et autres coupures de presse de Fatou Bensouda, Me Altit et ses camarades ont opposé un travail de fourmi. Ils ont pris le temps de disséquer le dossier ivoirien. En commençant par étudier l’histoire de la Côte d’Ivoire, depuis les années 1960. Avec une attention de félin sur les deux décennies de crises militaro-politiques. Pour ce faire, les rôles ont été attribués comme cela se fait dans une équipe sérieuse. Originaire de la Côte d’Ivoire, Me Agathe Bahi Barouan avait en charge de démonter les arguties de Bensouda sur une guerre prétendument etniciste et religieuse en Côte d’Ivoire. Comme hypothèse de départ, elle révèle au monde son métissage, Bété et Malinké. Quel camp choisira-t-elle lorsque ces deux venaient à s’entretuer ? A la vérité, cette trouvaille de Bensouda est sortie de son imagination fertile. « Cette grille de lecture ethnicisée est fausse, elle est inacceptable. L’ethnie ne peut pas être la clef de compréhension » bat-elle en brèche. Et l’avocate au Barreau d’Abidjan de glisser : «Lorsque l’on touche à la réalité humaine, il n’y a pas de place pour la simplification. Quand le procureur oppose le Sud chrétien au Nord musulman, sait-il qu’il se trouve plus de musulmans au Sud qu’au Nord ? L’accusation veut vous présenter une Côte d’Ivoire polarisée, camp contre camp, comme si la population n’avait pas assez souffert ». Et de conclure : « En côte d’Ivoire, les frontières religieuses ne regroupent pas toujours les frontières ethniques ». Pour ce qu’il a été donné d’entendre çà et là, même dans le camp Ouattara, l’exposé de cette ancienne du Conseil constitutionnel ivoirien avait été salué. Et lorsque Jennifer Naouri s’est attelée à dépiécer la colonne vertébrale de l’accusation contre Gbagbo, le doute s’est installé dans le camp des pourfendeurs de l’ex-numéro 1 ivoirien. Elle a commencé par présenter l’ossature des charges alléguées. A savoir la répression supposée de manifestants à la Rti le 16 décembre 2010, la mort de 7 femmes à Abobo, le 3 mars 2011, le bombardement supposé du marché Siaka Koné, le 17 avril 2011 et les tueries du 12 avril à Yopougon. Pour elle, la dernière accusation se vide d’elle-même, car Laurent Gbagbo, arrêté le 11 avril, ne peut assumer hiérarchiquement des faits qui auraient pu se passer alors même que les chefs militaires avaient déjà fait allégeance à Ouattara. Avant de pulvériser les autres charges. Parlant de la manif des femmes à Abobo, elle s’interrogera : « Pourquoi à Abobo, une agglomération aux mains du Commando dit Invisible, commando de triste mémoire ? ». Puis, elle retournera les séquences de la vidéo dans tous les sens. Pour arriver à la conclusion que toutes les victimes sont alignées. Comme à Hollywood. En ce qui concerne le marché Siaka Koné prétendument bombardé, la « téméraire » Naouri a mis en lumière les contradictions, les incohérences du narratif de Bensouda. Pas de précision sur l’heure de bombardement, des témoins se contredisent…Puis, feuilletant les annales de l’histoire, Jennifer Naouri dira que ce bombardement a été utilisé comme épouvantail dans le seul but d’émouvoir le monde entier à l’image de ce qui s’est passé à Sarajevo, il y a quelques années. Mieux, elle a posé cette question à Bensouda : « Comment des auteurs directs peuvent-ils être acquittés dans une affaire, faute de preuves, et qu’on continue de poursuivre le co-auteur indirect supposé ? » La réponse est une affaire d’initiés. Le Tribunal militaire d’Abidjan sous Ouattara blanchit des auteurs directs, et Gbagbo le co-auteur supposé est poursuivi. L’expert en Droit, Prof. Jacobs a la réponse. « Le procureur est condamné à ne pas dire la vérité. Il vend une autre histoire. Un nuage de fumée sémantique qui vise à masquer la vérité », fulmine-t-il. Même les ponctuations sciemment déplacés pour dénaturer le sens réel du discours de Laurent Gbagbo n’ont pas échappé à l’un des esprits exercés et critiques. Une chalandise intellectuelle chapeautée par Me Emmanuel Altit. Dont la brillance de la coordination de la Défense saute aux yeux. Surtout lorsqu’il démasque Fatou Bensouda dans sa tentative de falsifier l’histoire récente de l’Eburnie. « Faire disparaître les bourreaux, c’est faire disparaître leurs crimes. C’est renoncer à les faire comparaître devant la justice. C’est faire disparaître les violences vécues par des dizaines de milliers d’Ivoiriens. La souffrance n’est pas divisible, elle n’appartient pas à un camp, à une ethnie. Réécrire l’histoire, c’est aussi une atteinte au vécu des Ivoiriens et à la souffrance » condamne-t-il la forfaiture, y compris sa tentative frauduleuse de marquer au nombre des pièces à charge, une vidéo tournée au Kenya, dans laquelle des personnes sont brulées vif. Au total, c’est le travail scientifique de la Défense de Gbagbo qui a jeté le trouble dans le camp de l’Accusation. A juste titre, ce travail d’orfèvre suscite admiration dans la galaxie Gbagbo. A l’image de son parti. Qui, par la voix de son porte-parole par intérim, Koné Boubacar, écrivait ceci : « En réponse à l’argumentaire déroulé par l’Accusation, du 28 au 29 janvier dernier, la Défense du Président Laurent Gbagbo et du ministre Blé Goudé a contre-attaqué, les 1er et 2 février 2016, avec brio, c’est-à-dire en prenant en compte tous les aspects de “l’affaire“ aux plans logique, chronologique, psychologique, sociologique, factuel mais aussi éthique. Le Fpi s’honore de la qualité de la Défense et adresse, d’ores et déjà, ses très vives félicitations aux avocats de la Défense, Maîtres Emmanuel Altit et son équipe (Agathe Bahi Baroan, Jennifer Naouri, le Pr. Dov Jacobs) pour le compte du Président Gbagbo, ainsi que Me Kert Alexander Knoops et son équipe (Me Claver N’Dri et autres), pour le ministre Charles Blé Goudé. Le parti est d’autant plus fier que cette présentation magistrale constitue une leçon de droit doublée d’un cours de démocratie et d’éthique sur la place publique du Village planétaire ». Nous sommes donc de ceux qui se gardent de lyncher cette équipe en dépit de ce qu’on aura noté comme faiblesse.
Une analyse de Yeshua Amashua