C’était le 21 mars de 2014 aux environs de 10h. C’est sous escorte d’éléments Frci agités et de policiers du Ccdo que je suis arrivé au palais de justice, au Plateau. La politique était en notre compagnie dans cette salle du palais de justice pour orienter le droit. Pauvre Côte d’Ivoire !
L’audience était interdite au public. Pourtant, j’ai eu droit à un public particulier composé uniquement de policiers et de soldats Frci qui avaient rempli la salle d’audience. Ce jour-là, comme toute femme digne de ce nom, ma femme, venue m’apporter son soutien et aussi me donner les nouvelles des enfants que je n’avais plus revus depuis longtemps, n’a pas été autorisée à assister à l’audience. Bien au contraire, Solange a été brutalisée et battue par les éléments policiers du Ccdo conduit par le commissaire Youssouf Kouyaté aujourd’hui Dg de la police. En ce jour anniversaire de mes 4 ans d’enfermement à La Haye, je traduis ici toute ma reconnaissance à Solange ! Cette gratitude s’étend aux camarades Koua Justin, Martial Yavo et Maman Angéline Kili qui, ce jour, étaient aux côtés de Solange. La chambre d’accusation, s’est réunie à la va-vite. La présidente de la Chambre d’Accusation m’invite à la barre. Elle procède à la lecture des charges retenues contre moi et pour lesquelles mon pays a accédé à la requête de la Cpi. Vient ensuite le tour des plaidoiries de la défense. Se succèdent à la barre Maîtres N’Dry Claver, Gouaméné, Dadjé, Gohi Bi, Nomel et Bobré. Quant à maître Gbougnon, c’est en pleurs qu’il a plaidé. A chaque phrase qu’il prononçait, il n’arrivait pas à contenir ses larmes. En effet, la plupart de mes avocats et moi, nous étions des compagnons de galère et des voisins de la résidence universitaire de Yopougon quand nous étions encore étudiants. Aucun d’entre eux n’ignorait la ligne politique que j’avais choisie. Ils vivaient donc comme une injustice ce nouvel épisode de ma vie politique. Pour ma part, je savais que tout ce cirque était une mise en scène pour donner un vernis à ce «gourdin judiciaire» que le régime Ouattara a pris l’habitude d’utiliser contre ses adversaires politiques gênants. Après les plaidoiries de ma défense, la présidente de la Chambre m’a posé une question des plus surprenantes : « Monsieur Blé Goudé, où désirez-vous être jugé ? En Côte d’Ivoire ou à La Haye ?» Voici la réponse que j’ai donnée au juge, à faire rire même la soldatesque présente dans la salle d’audience. « Madame la présidente, c’est la 9e fois que je fais la prison politique. Mais, c’est la première fois que je suis face à une juge qui demande à un prévenu de choisir son lieu de jugement. Madame, je me suis toujours battu pour le respect des institutions de mon pays. Je ne me renierai pas. Ici, ni mon souhait ni même le vôtre ne compte ; tous ici, nous devons nous soumettre à la loi. Vous, votre rôle est de l’appliquer. Si maintenant la loi de mon pays vous autorise à me transférer à La Haye, vous savez donc ce qu’il vous reste à faire Madame. Sinon, si vous demandez à n’importe quel prisonnier, il vous dira que son souhait est de rentrer à la maison.» Sur ces propos, la Chambre s’est retirée puis les juges qui la composent sont revenus dans la salle pour réciter leur dictée préparée : « Monsieur Blé Goudé, la Chambre autorise votre transfèrement à La Cour pénale internationale. Avez-vous quelque chose à déclarer ? » J’ai juste pris la parole pour dire : « Madame la Présidente, je voudrais juste savoir à quelle heure est prévue le décollage de l’avion. Je n’ai plus rien à ajouter, je vous remercie. ». Ainsi la Chambre et le public n’ont pas eu droit aux larmes de Charles Blé Goudé, simplement parce qu’ils ne le méritaient pas. C’est le lendemain déjà, à bord d’un avion belge, que j’ai été transféré à La Haye où je suis arrivé à 2h du matin. Depuis j’y suis enfermé aux côtés du Président Laurent Gbagbo. Au lieu d’un soutien dans la douleur, c’est plutôt un ballet d’injures et d’accusations organisé, orienté et coordonné contre ma personne. Pendant 4 ans mes oreilles ont été remplies d’assertions aussi farfelues les unes que les autres. Sur ma sortie d’Abidjan en 2011, mon arrestation au Ghana, ma détention à la Dst, mon transfèrement à la Cpi beaucoup a été dit et beaucoup continue d’être raconté. Jusque-là je m’étais imposé la discipline de ne pas y répondre car il y a des silences qu’il ne faut pas déranger. Mais il y a aussi que le silence a souvent des relents de complicité et de trahison. La rumeur court et semble bien distillée et entretenue au sein de la population par des individus qui y ont des intérêts propres. Ils n’éprouvent aucun scrupule, aucune vergogne à même utiliser le mensonge comme arme pour parvenir à leurs fins. Aujourd’hui 21 mars 2018, cela fait exactement 4 ans que je suis enfermé à la Cpi aux côtés du président Laurent Gbagbo. Le simulacre de procès à Abidjan qui était supposé me remettre en liberté conformément à un deal que j’aurais contracté avec le régime de Ouattara n’a toujours pas eu lieu. Ici à la Cpi, mon prétendu témoignage contre Laurent Gbagbo n’a non plus eu lieu puisque les témoignages à charges sont clos. Malheureusement, bien que tous leurs mensonges sciemment distillés s’écroulent chaque jour comme autant de châteaux de cartes, des personnalités politiques en liberté se permettent d’établir un tribunal parallèle contre moi par le biais de rumeurs, de vidéos et autres accusations infondées, comme si le procès auquel je fais face à la Cpi, au nom de notre cause commune, n’était pas suffisamment pesant. Par respect pour les ivoiriens et les Africains, pour éclairer la lanterne de l’opinion, afin de ne pas laisser le mensonge prospérer, un livre témoignage est en cours d’édition et sera publié au mois de mai 2018. Plus personne ne pourra ignorer la vérité et les choses seront enfin claires. Ce n’est pas à ces calomniateurs que je répondrai par ce biais. C’est plutôt aux Ivoiriens et aux personnes qui portent un intérêt sincère au combat pour lequel je suis embastillé à la Cpi que je me dois d’apporter des réponses. Le chemin est encore long, seules la mutualisation de nos efforts, notre solidarité et notre lucidité peuvent nous aider à arriver à quai pour construire une alternative sans repli-sur-soi, esprit de vengeance, ni bouc-émissaire. Qu’un camarade n’ait pas la même opinion sur un sujet donné ne fait pas de lui un traitre.
Que Dieu bénisse la Côte d’Voire
Charles Blé Goudé, Homme politique en Transition à La Haye