Côte d’Ivoire : L’Union européenne prend clairement position sur la réforme de la Cei, le dialogue politique, la présidentielle de 2020, la question identitaire…
Rapport des chefs de mission de l’union européenne sur la situation politique en Côte d’Ivoire : derrière une façade rassurante, des signaux qui incitent à la vigilance
Résumé : sept années après la crise postélectorale qui succédait à près de dix ans de partition du pays, la côte d’ivoire affiche l’image rassurante d’une stabilité retrouvée, portée par des taux de croissance élevés (7,8% sur 2017 selon le Fmi), un attrait important auprès des partenaires internationaux et un retour sur la scène internationale (en devenant membre non permanent du conseil de sécurité des nations unies en 2018). Cependant, pour Alassane Ouattara, les difficultés semblent s’accumuler au cours d’un second mandat probablement plus difficile qu’envisagé initialement. En effet, si la situation ivoirienne reste globalement stable et suscite toujours l’optimisme des marchés et des bailleurs, plusieurs signaux préoccupants persistent en ces premiers mois de l’année 2018. Au-delà d’une conjoncture difficile, ils révèlent les failles politiques importantes de la reconstruction post-crise et les fragilités non résorbées d’un pays peut-être moins solide et démocratique que sa bonne image pourrait le laisser penser. Sur le plan politique, la majorité parait avoir renforcé toutes ses positions, comme dernièrement avec la préemption de la quasi-totalité des sièges du nouveau sénat. Mais, paradoxalement, l’autorité du régime semble se fragiliser y compris dans son propre camp, qu’il s’agisse des accords entre partis politiques (confusion autour du parti unifié et, en arrière-plan, effritement de l’alliance Ouattara-Bédié), de la gestion des ambitions personnelles (avec le rôle toujours aussi important de l’imprévisible président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro), ou même d’options, autrefois inenvisageables, mais progressivement devenues crédibles (troisième mandat de Ouattara, voire candidature de Bédié). Face à ces difficultés, les autorités se montrent hermétiques aux critiques internes et externes, et semblent désireuses de ne laisser aucun lieu de pouvoir leur échapper, alors même que le cadre électoral soulève de plus en plus de questions. En dépit d’un nouvel eurobond (1,7 milliard d’euros) et d’un satisfecit global du Fmi, la situation économique et sociale fait aussi naître quelques doutes à moyen terme : la logique réduction de la croissance suite à la chute des cours du cacao-environ un point de baisse en deux ans- réduit les marges de manouvre budgétaires, alors que les chantiers de développement ne manquent pas. Même si elle est toujours considérée comme bien gérée, la dette publique a doublé en cinq ans ( de 4,68 milliards en 2012 tandis que le déficit public a augmenté de 50% en deux ans ( à 4,2% du Pib). Plus largement, la volonté régulièrement affichée de prendre des mesures structurelles pour améliorer le climat des affaires (réaffirmée lors de l’adoption du projet compact des G20 avec l’Afrique en juin 2017) ne s’est jusqu’alors pas traduite par un processus de réformes suffisamment crédibles. Parallèlement, les indicateurs sociaux stagnent (taux de pauvreté à 46% alors même si la statistique date de 2015), et la population s’interroge de plus en plus ouvertement sur cette croissance qui ne lui semble pas ou peu bénéfique. Elle tolère d’autant moins les largesses financières dont bénéficient les cercles du pouvoir. Chaque occasion est saisie pour manifester, parfois violemment, un mécontentement confus mais bien réel contre les structures et représentants de l’Etat, en tant que symboles de prédation pour une partie de la population. De ce fait, la confrontation entre un pouvoir qui restreint progressivement les espaces d’expression, et une contestation sociale grandissante, n’augurerait rien de bon pour l’échéance de 2020. Par ailleurs, un an après les mutineries de 2017, la réforme du secteur de la sécurité semble toujours en chantier. Même si plusieurs initiatives soutenues par certains partenaires de la Côte d’Ivoire, ont permis des avancées significatives. Dans ce contexte, les chefs de mission incitent à poursuivre une analyse approfondie de la situation ivoirienne et déplorent la réticence générale des autorités à échanger sur les sujets majeurs, comme l’illustre l’absence de dialogue politique (article 8) depuis mars 2016. Ils souhaitent donc utiliser tous les leviers disponibles pour résoudre cette situation, d’autant moins acceptable au vu du soutien, important apporté par l’Ue et ses Etats membres à la Côte d’Ivoire.
I-Tensions multiples dans une course aux présidentielles de 2020 lancée trop tôt
Dans la continuité des élections présidentielles apaisées en 2015, le second mandat d’Alassane Ouattara se présentait comme celui de la confirmation de la stabilité retrouvée et plus encore comme un symbole de changement structurel voulu par le président durant cette décennie post-crise. Mais après une séquence politique particulièrement dense (révision constitutionnelle puis élections législatives en 2016), qui avait laissé entrevoir d’importantes dissensions au sein de la majorité, puis des épisodes de mutinerie dans l’armée, qui avaient mis à rude épreuve la crédibilité des autorités (et d’abord celle du président de la république), cette vision semble aujourd’hui s’éloigner. Ce constat repose d’abord sur un fait politique majeur : l’obsession des acteurs politiques pour l’échéance de la présidentielle de 2020, présente dans tous les esprits dès le lendemain des élections de 2015. La séquence de la révision constitutionnelle en 2016 avec les évolutions politiques et institutionnelles qui en découlent, ont globalement renforcé le pouvoir exécutif. Cela n’a fait que confirmer une tendance dont les signes les plus visibles sont les incessantes tractations autour du «parti unifié» et leurs corollaires directs que sont la manifestation des ambitions personnelles et le retour des jeux d’alliance. Par extension, cette course lancée par anticipation, aux élections de 2020, cristallise à nouveau les enjeux autour des réformes électorales (en particulier celle de la commission électorale indépendante et de l’actualisation de la liste électorale) ou institutionnelle (la création du sénat) et provoque une érosion du dynamisme réformateur emblématique des débuts du président Ouattara.
1–Incertitudes autour du projet de parti unifié
Le parti unifié, censé transformer l’alliance électorale du rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) en un véritable parti politique, était annoncé par Alassane Ouattara lui-même comme acté «avant la fin 2017». le principe, ambitieux, est de faire fusionner le parti présidentiel du rassemblement des républicains (Rdr) avec les cinq autres partis de la coalition, en particulier le parti démocratie de Côte d’Ivoire (Pdci) présidé par Henri Konan Bédié, ancien président de la république (de 1993 à 1999). Mais, ce projet contesté sur la forme et le fond, n’a toujours pas vu le jour, pour plusieurs raisons. Annoncé comme la solution à l’instabilité passée (c’est-à-dire une solution à l’épineuse question de la succession de Ouattara), il a été dès le début compris par tous comme une manière pour la coalition au pouvoir de s’assurer une réélection systématique, en reléguant les éventuels mouvements d’opposition à la périphérie du jeu politique. En outre, il se heurte à une réalité fondamentale : parti historique du fondateur Félix Houphouët Boigny, la base militante du Pdci se voit mal être fondue dans un ensemble promis à l’emprise du Rdr, alors que ce dernier n’est au départ qu’une émanation «nordiste» du Pdci. En outre, les bases électorales, fortement ethniques et géographiques, ne semblent pas prêtes à cette fusion qui ressemblerait bien davantage à un retour au «parti unique» qu’à un parti unifié. Même si la discipline des partis avait jusqu’alors évité des critiques trop directes, le sujet suscite désormais des tensions visibles entre le Pdci et le Rdr alors même que les deux partis alliés ont à nouveau présenté des listes communes aux élections sénatoriales (où l’on a observé des dissensions importantes que ne reflètent pas les résultats). L’escalade verbale entre les «durs» des deux partis, par meetings interposés en mars 2018, en fut une illustration supplémentaire : au cours d’une cérémonie d’hommage à Henri Konan Bédié, Jean Louis Billon porte-parole adjoint du Pdci et Maurice Kakou Guikahué, secrétaire exécutif, multipliaient ainsi les déclarations opposées à la mise en place du parti unifié («sans le Pdci, le Rhdp n’est rien ; «si parti unifié, il doit y avoir, ce sera après l’alternance. En 2020, un militant actif du Pdci sera candidat). Les caciques du Rdr, tels Kandia Camara, secrétaire générale, Amadou Soumahoro ou Adama Bictogo, ont rétorqué de manière virulente, dans la droite ligne d’un discours sans équivoque qui a progressivement gagné en radicalité depuis 2015 (les opposants au parti unifié sont des «ennemis de la jeunesse» et «veulent les guerres et les crises en côte d’ivoire» ; «quiconque se met en marge de cette dynamique en pensant à ses intérêts sera broyé). Ces dérives verbales ont été suivies par des signes d’apaisement, notamment la rencontre du 10 avril entre Bédié et Ouattara, empreinte d’une certaine froideur et divers communiqués qui réaffirment l’intention d’aller au parti unifié sans toutefois dépasser pour l’heure les déclarations de principe. Mais les deux partis posent fondamentalement des conditions diverses : le Pdci souhaite fermement une «alternance» interne à la coalition en faisant référence à l’appel de Daoukro prononcé par Bédié en 2014 (dans lequel il annonçait l’effacement du Pdci devant la candidature de Ouattara, sous réserve de réciprocité en 2020). Pour sa part, le Rdr souhaite d’abord la fusion des partis avant l’investiture d’un candidat pour 2020 et ne fait pas mystère de sa volonté d’oublier des engagements dont il ne reconnait pas la réalité. Au passage, les propos tenus par le Rdr illustrent l’inconfort croissant du parti présidentiel devant la critique et les opinions divergentes. Cette rhétorique guerrière parait d’autant plus gênante qu’elle est entretenue devant de jeunes auditoires. Or l’histoire récente de la côte d’ivoire a montré à quel point les partis politiques peuvent instrumentaliser cette jeunesse, souvent peu éduquée, à des fins violentes. De tels phénomènes avaient été constatés notamment lors des élections législatives de la fin 2016, puisqu’en diverses localités plusieurs candidats furent intimidés par des bandes de jeunes «militants» ou «syndicalistes» s’apparentant davantage à des délinquants. Cette attitude semble aussi révéler une crainte de plus en plus palpable dans les rangs du Rdr ; celle d’un retour à la «tripolarisation» de la vie politique qui ne serait plus forcément à son avantage (entre Rdr, Pdci et un camp Gbagbo qui serait probablement revigoré par cette configuration). Dans ce cas de figure, Bédié retrouverait son rôle de faiseur de roi, cette fois-ci peut-être au profit d’un Guillaume Soro qui se verrait bien endosser le costume du rassembleur. Ce dernier, désigné par certains comme «grand témoin» du pacte d’alternance entre Ouattara et Bédié, conserve une attitude équivoque entre un discours critique sur la réconciliation et soutien de façade au «grand frère» Ouattara. La gêne autour du parti unifié est telle que l’hypothèse d’un troisième mandat d’Alassane Ouattara, est de plus en plus ouvertement envisagé par certains cadres du Rdr, voire par le président lui-même, qui après avoir indiqué en 2015 qu’il prendrait sa retraite, a fait comprendre l’année suivante qu’il n’excluait pas d’être candidat. De manière plus surprenante encore, une éventuelle candidature de Bédié est parfois avancée par quelques voix au sein du Pdci. Ainsi, sous une apparente modernité, se profile peut-être pour 2020 un retour en arrière à la faveur de cette potentielle nouvelle «crise de succession».
2- En marge des élections sénatoriales, le cadre électoral à nouveau contesté
Dans ce contexte tendu, le caractère incomplet et régulièrement contesté des réformes électorales devient également un point de discorde d’autant plus aigu à mesure que l’élection majeure de 2020 approche. L’emblématique réforme de la commission électorale indépendante (Cei), demandée par un arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp) depuis novembre 2016, reste pour l’instant fermement exclue par l’exécutif qui ne voit dans cette décision judiciaire qu’un simple « avis ». Or ignorer cette décision ne porte pas préjudice non seulement au bon fonctionnement et à la crédibilité de la démocratie ivoirienne, mais aussi à sa prétention d’être un pays respectueux des règles du droit international et qui travaille pour l’intégration africaine. Cette refonte de l’institution chargée des opérations électorales, portée de longue date par la société civile ivoirienne, est désormais évoquée dans les rangs du Pdci, rejoignant sur ce point l’opposition du front populaire ivoirien (Fpi). Récemment, les autorités ivoiriennes ont eu tendance à interdire les manifestations d’hostilité à la Cei, même les plus insignifiantes, telles que celle de l’opposition-pourtant moribonde- en mars, qui a abouti à des arrestations et privations de droits civiques. De même, la préparation et le déroulement des élections sénatoriales, en mars 2018, ont laissé l’impression d’un pouvoir suffisamment fort pour imposer ses règles et écarter toute contestation, mais trop faible politiquement pour accepter le jeu démocratique. En effet, l’inversion d’un calendrier électoral entre les sénatoriales et les locales a d’abord délégitimé le scrutin, puisque les sénateurs ont été élus par un collège (maires, conseillers et présidents de régions) qui sera renouvelé dans quelques mois, et lui-même élu en 2013 lors d’un scrutin boycotté par l’opposition. Cela a conduit de manière prévisible à l’élection de 50 sénateurs Rhdp pour 66 sièges, les 16 « indépendants » étant pour la plupart issus du Pdci et du Rdr, mais en rupture avec les décisions de leur hiérarchie(le même phénomène avait été déjà constaté lors des législatives de décembre 2016). Il convient également de rappeler qu’un tiers des sénateurs (soit 33 en plus des 66 élus) doit être nommé directement par le président Ouattara, après les élections, ce qui permet d’ajuster les rapports de force selon un processus discrétionnaire perçu comme peu démocratique. Ainsi le sénat, qui devrait consacrer l’avènement d’un nouveau lieu de contre-pouvoir législatif, ressemble à un nouvel outil au service de l’exécutif. Signe toutefois d’une volonté de Ouattara de donner quelques gages à Bédié, le président du sénat a été élu : il s’agit, comme attendu de l’ancien premier ministre de Ouattara, M. Jeannot Ahoussou Kouadio, originaire du Pdci.
II- Aux demandes d’un Etat social, inclusif et transparent, une réaction de fermeture qui fait aussi rejaillir l’absence de réconciliation
1- Une tension sociale diffuse, à surveiller
En marge de ce jeu politique mouvementé, la société ivoirienne bien que fractionnée et peu organisée dans l’expression de ses revendications, est de plus en plus agitée par un mécontentement perceptible, y compris chez d’anciens soutiens du président. Ce mécontentement prend plusieurs formes (manifestations, grès occasionnelles dans plusieurs secteurs, refus de certaines réformes), mais n’est pas canalisé et dérive régulièrement en violences, en particulier dans l’ouest et le centre du pays. Ainsi, ces derniers mois, de nombreuses réactions spontanées ont conduit à des pillages ou même des pertes en vies humaines. Cela par suite d’évènements aussi variés que l’incendie d’un marché, les occurrences de crimes rituels, ou encore des arrestations de droit commun jugées injustifiées et des évènements parfois dramatiques impliquant les forces de sécurité (par exemple à Bloléquin-ouest du pays, un chauffeur de moto-taxi abattu par le gendarme qui le rackettait, lui-même, tué par la foule par la suite). Il faut noter qu’à chaque fois ou presque, les manifestants s’en prennent à des bâtiments administratifs et des agents de l’Etat, témoignage d’une hostilité latente à leur égard et d’un déficit de confiance particulièrement à l’égard des forces de l’ordre. Or même si Alassane Ouattara admet la gravité du problème (« les comportements civiques de ces derniers mois nous interpellent tous. Ils sont contraires à l’idéal de société que nous voulons bâtir »), la plupart des réactions publiques à ces phénomènes paraissent inadaptées. Aucun acteur politique majeur ne semble vouloir changer ces comportements, en feignant aussi d’ignorer la dimension politique et sociétale. La défiance à l’égard des acteurs politiques, tout comme leur compréhension visiblement incomplète de ces phénomènes et leur manque d’intérêt, sont favorisés par le fait qu’un grand nombre des élus « locaux » (maires, présidents de région ou de districts), résident en réalité à Abidjan. De même, le manque de moyen général des autorités déconcentrées (qui ne reçoivent pas la totalité des budgets qui leur sont attribués faute de transparence et de respect d’une chaine de la dépense adéquate), ou territoriale (en particulier les régions, créées en 2013 sans planification budgétaire stricte et dont les missions s’accroissent), donne lieu à d’importantes disparités d’accès aux services de base sur le territoire national, comme le soulignent les enquêtes sociales. En parallèle, le refus des critiques ou voix discordantes de la société civile se traduit notamment par un rapport détérioré à la presse et aux journalistes : ainsi la conférence de presse du premier ministre durant laquelle, ce dernier a balayé toutes les interrogations avec des réactions parfois préoccupantes (soupçonnant par exemple la Cadhp de « manipulations », ou enjoignant les partenaires internationaux convoqués pour l’occasion à respecter un silence approbateur). Plus récemment, la société des journalistes de l’hebdomadaire Jeune Afrique publiait un communiqué sans équivoque, exprimant son « inquiétude face aux interventions répétées et injustifiées de la direction de la publication sur les articles traitant de la Côte d’Ivoire », ajoutant que « ces derniers mois, rares ont été les titres ou articles à ne pas avoir été tronqués, retouchés, aseptisés, voire déprogrammés, en particulier lorsqu’ils traitent du pouvoir en place ». Il est également à signaler que l’Ong actions pour la protection des droits de l’homme (Apdh), à l’origine de la requête auprès de la Cadhp concernant la Cei, est régulièrement prise à partie ces derniers mois et que son président a été plusieurs fois menacé. S’il convient de relativiser ces phénomènes au regard de la violence politique ou sociale d’autres pays africains, cela semble tout de même traduire l’expression d’une angoisse devant l’accumulation des difficultés, mais aussi une déconnection croissante de la classe dirigeante-et peut-être des partenaires de la Côte d’Ivoire séduits par l’attrait d’Abidjan- par rapport aux réalités quotidiennes vécues par la population. Alors que la croissance depuis 2012 est évaluée à environ 8,5% de moyenne, elle ne semble pas encore avoir eu d’impact significatif sur la réduction de la pauvreté. Près de la moitié de la population ivoirienne est aujourd’hui en situation de pauvreté (46,5 en 2015) et le pays qui figure parmi les « champions » de la croissance africaine, occupait en 2016 une peu flatteuse 172ème place sur 188 à l’indice de développement humain (Idh) des nations unies. L’espérance de vie (51,5) n’aurait pas encore rattrapé son niveau des années 1980 (53), époque à laquelle le taux de pauvreté était évalué à 10%. Certes, ces chiffres devront être actualisés dans les années à venir pour mieux refléter l’évolution sur cette décennie de post-crise, mais étant donnée la croissance démographique, c’est un fait : le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté entre 2011 et 2016.
2-La réconciliation, faille majeure d’une réponse économique à une crise politique
La réconciliation nationale, si nécessaire dans ce pays longtemps divisé, et en dépit de la création d’une commission dédiée à ce sujet mais aux résultats vides de sens, semble avoir été sacrifiée sur l’autel de l’impunité (aucun jugement à ce jour des exactions commises durant la crise par des forces « pro-Ouattara », et procès bâclé de Simone Gbagbo), de l’amnésie (pas de lecture commune de la crise et peu d’indemnisation des victimes), et surtout du principe de « rattrapage », qui dans les faits s’est substitué au concept si néfaste de « l’ivoirité » (utilisé à la fin des années 1990 pour exclure Alassane Ouattara et les nordistes du jeu politique). Cela n’a fait qu’inverser les dynamiques d’exclusion ethno-géographiques, faute de les endiguer. Le dialogue politique interne a suivi à peu près la même trajectoire : la négociation avec une opposition certes très divisée et sans stratégie s’est finalement résumée à un échange de bons procédés, sans réellement initier une refondation politique d’après-crise. Les dissensions ont aujourd’hui atteint le cœur même du pouvoir, sur le plan politique et institutionnel, mais surtout désormais ethnoculturel, avec le délitement de l’unité du camp « nordiste ». En effet, à ce tableau, il faut ajouter une donnée potentiellement plus inquiétante pour la suite du second mandat du président Ouattara : la perte progressive du lien avec une partie de la population, principalement originaire du nord mais aussi des centres urbains, qui l’avait soutenu jusqu’alors. Tandis que parallèlement aucun de ses opposants ne semble avoir rallié son projet, ce déficit d’adhésion dans son propre camp est perceptible à travers une contestation grandissante à la moindre réforme. Ce fut par exemple le cas pour l’annexe fiscale (qui visait à instaurer de nouvelles taxes pour élargir l’assiette fiscale), en début d’année 2018, qui a finalement été abandonnée par l’exécutif. Cela s’accompagne de déclarations régulières de personnalités de la société civile sur la mauvaise répartition de la croissance. Emblématique de ce désenchantement, les propos récents de l’artiste Tiken Jah Fakoly, longtemps exilé à l’époque de Laurent Gbagbo et emblème « nordiste » connu de tous les Ivoiriens. Ce dernier, en critiquant « la mauvaise gestion, les élections budgétivores et l’inutilité du sénat », et en affirmant que « si le président Ouattara veut briguer un troisième mandat, il nous trouvera sur son chemin, se veut le porte-voix des déçus du régime Ouattara et le reflet d’une tendance lourde au sein du peuple ivoirien.
III. Un contexte socio-économique qui appelle à la vigilance.
- Malgré des résultats macroéconomiques globalement satisfaisants étant donné les chocs connus en 2017, le Fmi comme la Banque mondiale n’ont pas manqué de marquer récemment leurs préoccupations sur certains aspects, notamment de gestion de la dette et de la dépense publique.
- La situation macroéconomique est globalement satisfaisante et la Côte d’Ivoire a enregistré de bonnes performances en 2017 malgré les différents chocs internes et externes qu’a connus le pays (troubles sociaux et militaires, baisse des cours du cacao, remontée du pétrole). La croissance économique s’est établie à 7,8% selon le Fmi et le déficit public a été contenu à 4,2% du Pib. La dette quant à elle continue de progresser et s’établit à 46,1% du Pib mais reste sous les plafonds fixés par l’Uemoa. C’est du reste ce qu’a noté le Fmi dont la récente mission de revue a jugé que l’ensemble des repères indicatifs et structurels avaient été respectés, sauf celui sur la restructuration de la société ivoirienne de raffinage (Sir) qui a pris du retard. Le pays continue de bénéficier de la confiance des investisseurs internationaux, comme en témoigne le succès, en mars, d’un nouvel Eurobond évalué à 1,7 milliard d’euro, ou l’inscription au Millenium challenge corporation par l’administration américaine en novembre 2017.
- Cette performance globale cache néanmoins des aspects sur lesquels il convient d’être vigilant comme le caractère peu inclusif de la croissance : les Ivoiriens ne bénéficient pas dans leur niveau de vie quotidien des gains de ce rythme élevé de croissance (ainsi le Fmi notait en décembre 2017 : «le déclin de la productivité du fait du rattrapage après-conflit et la répartition inégale des fruits de la croissance posent des difficultés»). La soutenabilité de la dette ivoirienne (qui a beaucoup augmenté en % du Pib et en valeur), la difficulté des autorités à augmenter le niveau de leurs recettes domestiques sont également des enjeux cruciaux à mesure que se creusent des inégalités importantes entre une grande partie de la population et une «classe dirigeante» dont l’enrichissement ces dernières années est parfois spectaculaire.
- La soutenabilité de la dette est en effet un sujet suivi de près par le Fmi. Des inquiétudes concernent notamment le rythme d’augmentation rapide de la dette. La dette entreprises publiques (récemment réévaluée à 4,8% par le Fmi) et la multiplication de Partenariats public-privé (Ppp), dans lesquels le risque est transféré à l’Etat. Concomitamment, le Fmi a demandé des efforts accrus à la Côte d’Ivoire en matière d’augmentation de ses ressources domestiques (seulement 15,6% du Pib prévu pour fin 2018). Plus largement, plusieurs fragilités structurelles constituent des signaux d’alerte à ne pas négliger : la faible capacité de transformation du secteur industriel malgré des efforts de diversification, une redistribution sociale qui pose question dans une économie encore peu formalisée et donc peu apte à collecter pleinement les recettes fiscales, et un marché de l’emploi qui peine à accueillir les jeunes arrivant sur le marché du travail (entre 300.000 et 400.000 chaque année selon les estimations).
- Face à ces délits, nécessaire «seconde génération» de réforme semble pour l’heure insuffisante. En effet, en dépit des progrès accomplis notamment sur les corps de contrôle, des lacunes restent encore à combler en matière de gestion des finances publiques, de gouvernance, de transparence des décisions de justice, d’infrastructures et d’environnement des affaires. Malgré d’adoption d’un code des investissements qui vise à favoriser et à promouvoir la création et le développement des entreprises, l’environnement des affaires demeure encore fragile et une garantie suffisante de l’investissement reste un objectif à atteindre, car cela constitue pour l’instant une entrave importante à l’investissement des petites et moyennes entreprises. Ce point fondamental est également illustré, dans le cadre du compact G20, par une matrice de reformes sans engagements destinés à attirer les investisseurs potentiels, sans toutefois pleinement y parvenir (diminution des stocks Ue de 7% en 2016 soit 255 millions d’euros en moins). Les chiffres restent au-dessous de la moyenne africaine, sans aucune perspective de réduire l’écart avec les meilleurs pays du continent en la matière.
- Le soutien extérieur (dont celui de l’Ue) à des organes de régulation et de contrôle, s’il a permis de limiter le phénomène de la corruption, est loin de l’avoir endiguée car les institutions mises en place sont peu opérationnelles. La Haute autorité pour la bonne gouvernance est inactive ; L’Autorité nationale de régulation des marchés publics manque de moyens et ses dirigeants ont eu à subir des pressions, La Cour des comptes créée en 2015 a été officiellement installée seulement début 2018, et son budget 2018 n’a que légèrement augmenté alors qu’elle doit encore procéder au recrutement d’une vingtaine de magistrats.La création de ces institutions, dont la dernière, le Conseil national de politique économique, en date du 13 avril 2018, contribue à améliorer la place du pays dans les classements internationaux mais n’ont pas pour l’instant démontré d’influence sur l’amélioration de la gouvernance.
- Desréformes sécuritaires toujours en suspens ou à confirmer, dans un contexte de menaces sous régionales qui restent vives.
- Un an après les mutineries qui ont secoué la Côte d’Ivoire en 2017, le traitement structurel des nombreux problèmes des institutions de sécurité reste un défi. Depuis 2011, la vision stratégique dans ce domaine a été présentée à maintes reprises à travers plusieurs documents d’orientation, puis en 2016 une ambitieuse loi de programmation militaire. Mais cela n’a pas empêché que l’emporte souvent une gestion de court terme, basée sur l’octroi de primes et compensations (armée), une absence de volonté politique préjudiciable à la gouvernance des institutions de sécurité (insuffisances des corps de contrôle), et un déficit d’investissement occasionnellement compensé par les appuis extérieurs, notamment européennes (police, pompiers, renseignement) ou française (déflation des effectifs, soutien à l’envoi d’un bataillon de l’armée ivoirienne au sein d’une Opération de maintien de la paix des Nations unies, consolidation des forces spéciales, création d’une académie internationale de lutte contre le terrorisme). S’agissant des investissements, le peu de fonds disponibles a en outre été utilisé en partie pour des achats non adaptés aux défis sécuritaires ivoiriens, tels que des hélicoptères d’attaque de type MI-24. La lenteur et les lacunes de la Rss sont également dommageables dans les tentatives d’amélioration du climat de confiance entre les forces de l’ordre et population.
- Des progrès ont tout de même été observés ces derniers mois, en particulier au niveau de l’armée. La déflation des effectifs militaires, qui doivent être ramenés à 20.000 en 2020 (contre 22.500 environ actuellement), a donné des premiers résultats avec le départ volontaire de plus de 1.000 soldats, contre un pécule de 15 millions de francs Cfa (23.000 euros par individu concerné), et une formation en vue de la reconversion. Près de 2.200 nouvelles demandes de départ ont été validées pour 2018. Ces départs, sous réserve de la sécurisation des financements nécessaires, devraient toucher environ 800 éléments des 11.000 soldats ayant formé le noyau dur des mutineries, ce qui représente un chiffre important au vu de la difficulté de l’exercice et de la faible adhésion au début du processus. En outre, cette nouvelle vague de demande de départs volontaires, 70% des soldats concernés sont des sous-officiers, ce qui constitue le «cœur de cible» pour atteindre une réforme opérationnelle des forces armées (qui comptent actuellement bien trop de sous-officiers), et réduire progressivement l’influence des mutins au sein des Forces armées de Côte d’Ivoire (Faci). Fait notable, il s’agit probablement ici de la première réelle tentative, depuis 2011, de procéder à une vérification-sélective des militaires ivoiriens, notamment en faisant partie des personnels inaptes à l’exercice de leur fonction. Cet effort devra cependant être couplé à de nouveaux recrutements transparents et cohérents, afin d’éviter la répétition des erreurs ayant conduit à la situation actuelle de l’armée.
- L’envoi de soldats ivoiriens dans des opérations de maintien de la paix serait en bonne voie, et les dernières étapes sont actuellement en train d’être franchies pour aboutir à une conformité des troupes concernées au sein des Faci avec les exigences onusiennes. Le ministre de la défense, Hamed Bakayoko, négociant actuellement avec l’Onu, a annoncé le déploiement futur d’un bataillon (environ 750 hommes, probablement ramené à 450 dans un premier temps) au sein de la force de la Minusca, en République centrafricaine, qui pourrait s’opérer fin 2018. Même s’il faut rappeler que la sélection, la formation et l’équipement de ces éléments aura été pour le moins complexe (mesurant le chemin qui reste à parcourir pour professionnaliser réellement les Faci), il s’agit d’un symbole fort et d’une étape importante pour la Côte d’Ivoire en son armée.
- Cet impératif de mener à bien la réforme du secteur de la sécurité est d’autant plus urgent qu’en dépit des efforts réels effectués dans l’anticipation et la réactivité, la menace djihadiste (ou plus largement de la radicalisation islamiste) plane toujours sur la Côte d’Ivoire, tandis que la question de la circulation et du stockage des armes reste entière. Dans ce cadre, la création franco-ivoirienne de l’académie internationale de lutte contre le terrorisme (Ailct), qui devrait ouvrir en septembre 2018, est par exemple de nature à répondre aux enjeux sécuritaires liés à la menace djihadiste. Plus largement, l’existence de zone de non-droit (orpaillage clandestin en expansion notamment sous le contrôle de certains ex-comzones, récemment promus dans l’armée, occupation massive des forêts classées) tout comme la persistance de divers trafics (drogue, or, bois, ivoire, espèces menacées) restent des sujets de préoccupation majeure qui font l’objet d’un traitement encore insuffisant. A ce titre, la création et les travaux de l’Unité de lutte contre le crime transnational organisé (Uct) sont à noter.
- Position et recommandations des Chefs de mission.
- La communication positive, voire motivante, des autorités, autour d’une volonté réformatrice importante et portée par des taux de croissance élevés, a longtemps été acceptée par les partenaires de la Côte d’Ivoire, au premier rang desquels figurent l’Ue et ses Etats membres. Pour autant l’année 2017 apparait avec le recul comme un point de basculement : depuis la révision de la Constitution, certaines insuffisances ou omissions de la «gouvernance Ouattara» ont tendance à apparaitre comme des dérives, et ce, dans la plupart des domaines, qu’ils soient politiques, financiers, ou sociaux.
- Sur le fond, le postulat de base selon lequel l’émergence et le développement économique résoudront, à terme, la plupart des défis auxquels la Côte d’Ivoire est confrontée, est désormais mis en doute. Ce postulat a longtemps semblé recevable et il présente le mérite de constituer un cadre simple et clair à l’action gouvernementale en offrant aux citoyens un horizon commun, mais il a manifestement fait oublier que la croissance ne résoudra tout de manière mécanique, en particulier si elle n’est pas inclusive et que la corruption demeure. D’autres parts, les risques qui pèsent sur la Côte d’Ivoire sont aussi sécuritaires, politiques, fonciers, démographiques, et probablement toujours identitaires.Si le développement économique parait donc être à juste titre le moteur de l’action des autorités ivoiriennes, le rôle de l’Ue devra être de veiller à ce que les autorités ne s’exonèrent pas des efforts nécessaires, y compris les plus difficiles, pour améliorer réellement la situation de la population.
- Dans ce contexte, la relation de l’Union européenne avec la Côte d’Ivoire est affectée par le manque de dialogue politique et une réticence générale des autorités à échanger sur les sujets majeurs, voire même à faire évoluer ses positions.En effet, la dernière session de dialogue Ue-Côte d’Ivoire sous format article 8 de Cotonou s’est tenue en mars 2016 et, depuis, les autorités ivoiriennes ne montrent aucun empressement à répondre sérieusement aux nombreuses demandes de dialogue transmises par l’Ue : dans cette situation, les Chefs de Mission de l’Ue ne peuvent que conjecturer sur les raisons de ce blocage (s’agit-il d’arrogance, d’une crainte d’aborder des sujets délicats, ou d’un aveu de faiblesse ?).
- Quoiqu’il en soit, cette situation n’est pas compatible avec la relation forte entre l’Europe et la Côte d’Ivoire, dont témoigne notamment le haut niveau de soutien politique et financier apporté par l’Union européenne. Pour éviter que ces conjectures n’amènent à des conclusions erronées susceptibles de parasiter le nécessaire examen du soutien de l’Ue à la Côte d’Ivoire, il est primordial que les autorités ivoiriennes comprennent l’importance que les Chefs de Mission donnent à ce dialogue, et se décident enfin à le relancer dans les plus brefs délais. Car à l’heure actuelle, les Chefs de Mission se posent dans l’ensemble la question suivante : partagent-ils encore, avec les dirigeants de Côte d’Ivoire, une conception commune minimale sur ce que l’on attend d’un Etat démocratique, libre et social, partenaire loyal et franc de l’Union européenne ?
- Au vu de ce constat, les Chefs de Mission de l’Ue incitent à un examen critique de la situation ivoirienne, et à une réflexion sur le soutien de l’Ue à la Côte d’Ivoire. L’examen critique de ce soutien est certes difficile, car le gouvernement ivoirien sait parfaitement se présenter comme réformateur et moderne. Il ne s’agit pas ici de mettre en cause la pertinence de ce soutien, mais d’amener à une réflexion critique pour qu’il soit plus efficace et pour que les dérives constatées ne conduisent pas à une détérioration générale. La plupart des partenaires de la Côte d’Ivoire, dont l’Union européenne, continuent en effet malgré ces signaux préoccupants, à manifester leur confiance dans l’avenir de ce pays qui, par sa position stratégique et son poids économique, influence largement la stabilité de la zone Afrique de l’ouest. Cependant, l’absence de dialogue politique structuré devient problématique, surtout au vu des défis actuels et futurs du pays. Mais l’enjeu est qu’en vue de l’échéance de 2020, les dérives constatées actuellement ne conduisent pas à de nouvelles difficultés majeures, qui seraient aussi dommageables aux citoyens ivoiriens qu’aux intérêts européens.
- Dès lors, au vu du contexte décrits précédemment et de l’évolution de la situation générale du pays, les Chefs de Mission recommandent notamment :
– de déployer tous les moyens et usages diplomatiques à disposition de l’Ue pour tenir dans les meilleurs délais un dialogue politique structuré entre les Chefs de Mission de l’Ue et les autorités ivoiriennes (Primature et amples représentants des ministères concernés), et de respecter désormais le rythme annuel, en attirant l’attention sur la complémentarité et réciprocité des engagements pris dans l’Accord de Cotonou ;
– de maintenir sur la Côte d’Ivoire une analyse sans concession, notamment au regard des axes majeurs du soutien européen approprié depuis 2011, et des sujets régulièrement élucidés par les autorités tels que la corruption, le malaise social, ou les carences de la réconciliation, et d’établir un dialogue permanent et substantiel au niveau indiqué sur ces questions ;
– de susciter, à Bruxelles, une réunion de réflexion stratégique entre l’Ue et ses Etats membres, sur les priorités collectives à l’égard de la Côte d’Ivoire ;
–d’organiser, dans la perspective des élections présidentielles de 2020, un suivi des observations électorales de 2010 et 2015, afin notamment de mettre à jour les recommandations sur le cadre électoral et de mesurer les axes à améliorer, et d’engager les autorités dans un dialogue substantiel sur toutes les questions afférentes à une organisation inclusive, compétitive et indépendante de ces élections ;
– de conserver la plus grande vigilance sur la situation sécuritaire et l’évolution de la réforme du secteur de sécurité, en contact étroit avec les autorités ivoiriennes ;
– de s’engager activement, du côté de l’Ue comme de ses Etats membres concernés, dans l’accomplissement réussi du Compact avec l’Afrique du G20, en étroite coopération avec les Institutions financières internationales et le secteur privé.
SOURCE : UE