Côte d’Ivoire-Interview : Anaky Kobena (opposant ivoirien) «C’est Sarkozy qui a fait embastiller Gbagbo à La Haye, c’est donc à Emmanuel Macron de faire sortir Gbagbo de La Haye »
Cette fin de semaine se tient à Gagnoa la 19e Edition de la fête de la liberté initiée par le Fpi et Laurent Gbagbo en 1990. Quels sentiments vous animent face à cette célébration ?
C’est forcément de la tristesse et de l’amertume qui viennent noyer la joie que tout individu éprouve spontanément quand il lui arrive de revisiter de grands moments de sa vie, de celle de sa société et de son pays.
De sa vie ? De votre vie ?
Oui, en 1990, je me trouvais en détention à la Maca pour avoir milité pour le multipartisme, et à cette fête de la liberté, Gbagbo et les camarades du Fpi réclamaient ma libération.
Il se trouve justement qu’il y a trois jours, les juges de la Cpi, à La Haye, ont encore une fois refusé d’accorder la liberté provisoire au Président Laurent Gbagbo comme demandée par ses avocats.
Il ne faut pas y voir que la confirmation de ce qui est désormais évident pour tout un chacun, à savoir que la globalité des circonstances et concours qui ont valu à Laurent Gbagbo de se retrouver à La Haye sous l’autorité de la Cpi relève de la pure décision politique du Chef de l’Etat français d’alors, Nicolas Sarkozy. Sans aucune intention de refaire ou réécrire l’histoire de la Côte d’Ivoire ou de la France, et sans agresser les autres grandes puissances ou l’Onu, force est de reconnaitre que la présence de Gbagbo à La Haye, est à ramener à la seule volonté de Nicolas Sarkozy.
C’est par la seule volonté de Nicolas Sarkozy, alors Chef de l’Etat français, que Laurent Gbagbo a été envoyé à la prison de la Cpi. L’on sait, aujourd’hui, que même Alassane Ouattara a été mis devant le fait accompli, et tous les Chefs d’Etat africains, logés à la même enseigne, ont unanimement désapprouvé et condamné cette mesure que rien n’imposait. C’est donc la décision du Chef de l’Etat de France, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Onu que les 6 autres membres attendent pour libérer les juges de la Cpi à La Haye d’un fardeau qui est devenu insupportable pour eux.
Puisque vous semblez être convaincu que la clef de la libération de Gbagbo se trouve à l’Elysée, que recommandez-vous, que suggérez-vous à tous ceux qui n’attendent que cela ?
Nous, ici en Côte d’Ivoire, devons savoir qu’au niveau de la France, de l’Europe, de l’Amérique du Nord, de la grande Afrique, etc., de nombreuses initiatives sont en cours, et sont pour certaines très avancées, afin qu’il soit mis fin à la détention du Président Gbagbo et du ministre Blé Goudé. Des Etats, des personnalités du monde politique, diplomatique, de la finance, de l’industrie et de la religion, des organisations internationales faisant autorité, sont au travail, et nous devons avoir à cœur de ne pas les gêner, de ne pas entraver leurs actions, et surtout de ne rien entreprendre qui puissent être utilisé par ceux que la perspective de cette libération empêche de dormir ou de fonctionner.
Mais alors, faut-il se contenter de croiser les bras et de prier?
Bien sur que non, même si une prière saine émanant d’un esprit pur et franc n’est jamais de trop. Mais puisque nous sommes dans l’échange et le lobbying, il revient à Eds, au Mfa, à toute l’opposition politique et aux ONG affiliées, d’imaginer et développer les voies et les moyens de faire comprendre à la France et à Emmanuel Macron que la libération de Gbagbo s’est désormais muée en cause nationale en Côte d’Ivoire, sans oublier qu’elle est épousée avec encore plus de vigueur et de ferveur par de nombreux pays africains et du monde Noir. Dans un premier temps, une démarche de pédagogique s’impose. Emmanuel Macron et la France d’aujourd’hui doivent être amenés à réaliser que la Côte d’Ivoire de 2018 n’a rien de commun avec celle de 2010- 2011 dont l’état des lieux a pu servir de justification à certaines décisions aussi lourdes qu’expéditives. Emmanuel Macron est, dans les faits, placé en état de siège par Ouattara qui le noie sous les visites, assauts d’amabilités et exposés de grandes visions partagées de développement et de coopération. Mais il se trouve que Ouattara est celui là qui, seul, en Côte d’Ivoire, ne veut ni réconciliation, ni retour des exilés, et ni libération des détenus politiques, encore moins des pensionnaires de La Haye. Il incombe à l’opposition et à tous les Ivoiriens fatigués de cette crise qui n’en finit pas, de trouver le moyen de rééquilibrer l’image qu’Emmanuel Macron se fait de la Côte d’Ivoire et de son peuple et de sa classe politique. Il est par ailleurs évident que la France de 2018 est grandement différente de celle des années 1960 ; elle ne vit plus et ne se gouverne plus de la même manière, et les décideurs et les élites n’ont plus les mêmes lignes directrices dans la conduite de leurs relations internationales et vis-à-vis de l’Afrique. Ils font montre d’une connaissance et d’une maîtrise de l’Afrique noire, de ses peuples et de leurs dirigeants, beaucoup moins fine qu’il ya 3 décennies officiellement, le sort de Laurent Gbagbo relève du procès en cours à la Cpi à La Haye, et tout se ramènerait au seul droit ; mais le penser, c’est enfoncer sa tête dans le sable, comme une autruche, et se refuser à réaliser que pour les millions d’Ivoiriens et d’Africains qui n’ont jamais accepté cette arrestation et ce transfèrement de Laurent Gbagbo, tout se ramène au seul engagement et à la seule volonté du Chef de l’Etat français, ce qui a été lié par l’un pouvant être délié par un autre dans les règles de la continuité de l’autorité. Par tous les moyens pacifiques et civils, l’attention d’Emmanuel Macron doit être dirigée sur une affaire qu’il pourrait, à tort, considérer comme ne relevant pas de son registre ou de ses attributions ou responsabilités. Et cela serait aussi grave que le déficit de discernement qui a caractérisé l’implication française dans la chute du régime de Kadhafi en Lybie. C’est Nicolas Sarkozy qui a fait embastiller Laurent Gbagbo à La Haye, et c’est donc à Emmanuel Macron, investi des mêmes pouvoirs et responsabilités aujourd’hui, de faire sortir Laurent Gbagbo de La Haye.
Votre mot de fin ?
C’est un appel national, à tout ce qui est et constitue la Côte d’Ivoire ! La réconciliation, la libération des prisonniers politiques, le retour des exilés, et la fin de l’exil de La Haye, concernent toutes les Ivoiriennes et tous les Ivoiriens sans aucun lien avec l’origine, la région, la religion et le bord politique !
Toutes les familles ont été endeuillées ou dépouillées depuis 2002 ! Et le pardon est Ivoirien ! Pourquoi est-ce que des Ivoiriens devraient continuer à se taire ou à s’aligner derrière la colère du dernier cavalier de l’apocalypse qui, seul, sourd à tout, n’aura de cesse de haïr et d’écraser au prétexte de se venger ?
Demandons à nos frères du Pdci de marquer une petite pause, d’accepter de passer du train fonçant à tombeaux ouverts vers la Présidentielle de 2020 à celui de la réconciliation et du retour à la vie harmonieuse, entres Ivoiriens et Ivoiriennes. Il est triste de relever que, jusqu’à ce jour, c’est Konan Bédié, Président du Pdci, qui, seul, parmi les leaders de ce pays, semble très peu ému du sort de ces milliers d’Ivoiriens dans la souffrance depuis sept ans ! Peut-il ignorer ou oublier les nombreux leaders politiques, parmi eux, qu’il a fort bien pratiqués, et qui ont droit , comme lui-même et comme tout être humain , à la liberté et à la vie en toute sérénité ? Il faut redouter les indifférences ou les refus d’engagement qui vibrent sans cesse au son des cris de détresse des victimes !
Frère du Pdci, peuple du Pdci, joins ta voix à celle de la Côte d’Ivoire, crie et pleure avec les tiens !
Une correspondance particulière