CÔTE D’IVOIRE : ÉLECTIONS ET DÉSINFORMATION

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Le 24 mars dernier des « élections sénatoriales » viennent de se tenir, pour la première fois en Côte d’Ivoire. Pain quotidien des politistes, l’élection en Afrique subsaharienne pourrait passionner, d’autant que dans ce cas d’espèce le Sénat vient juste d’être créé. Le président du Sénat, M. Ahoussou Jeannot vient d’être « élu » le 5 avril, avec d’autant plus de facilité que, sans opposition, le vote fut quasi unanime.

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Sauf que. Commençons par ce processus de « création ex-nihilo ». Francis Wodié homme politique insubmersible qui a traversé avec des fortunes diverses tous les régimes ivoiriens, mais qui est surtout reconnu pour le meilleur constitutionnaliste du pays, opine publiquement et courageusement, que seul un amendement à la Constitution adopté par referendum ou a minima un vote à l’Assemblée nationale pourrait le fonder.

Il n’en a rien été, car le régime, ou plutôt le chef de l’État n’en a cure, mais n’est sûr ni de sa majorité dans le pays (cas d’un referendum), ni même dans l’Assemblée, dont Guillaume Soro est président- après avoir été « chef de guerre » de la rébellion de 2002 à 2011, et qui se pose actuellement en successeur virtuel. Le Sénat, à part la distribution de nouvelles prébendes, a été implicitement créé pour affaiblir ce dernier.

C’est donc par décret présidentiel, manifestement insuffisant si ce n’est illégal selon les lois mêmes du régime qu’a été créé le Sénat.
Mais quel Sénat ? Une assemblée croupion, d’une part parce que monocolore (la très floue « mouvance présidentielle), d’ autre part que comme dans bien de régimes autoritaires une part importante -un tiers- des sénateurs a été désignée par M. Ouattara, et non élue.

En effet l’opposition a refusé de participer à cette mascarade électorale. Surtout le Front populaire ivoirien resté contre vents et marées fidèle au président Laurent Gbagbo -déporté et incarcéré à la Cpi de La Haye, et donc le procès est en plein remaniement.

Mais comme souvent en Côte d’Ivoire (qu’on se souvienne de la Lmp- La Majorité présidentielle pro Gbagbo- des élections de 2010) le Fpi est inclus dans un collectif de petits partis, associations et mouvements : « Ensemble pour la démocratie et la souveraineté » (Eds) dont Georges Ouégnin assure formellement la direction.

Bien plus, et de manière exceptionnelle, étant donné le niveau de répression depuis 2011, Eds a appelé à une manifestation et un défilé le vendredi 22 mars, qui s’est mal terminé : 21 personnes ont été interpellées, qui rejoignent à la Maca (maison d’arrêt d’Abidjan) les 200 prisonniers politiques déjà recensés.

Certes, le niveau de violence du « camp des vainqueurs », porté au pouvoir par les rebelles et surtout la « Force Licorne » française, n’est plus le même, mais les 20.000 victimes civiles attribuées au camp Ouattara-Soro, sont dans toutes les mémoires, et ce traumatisme récurrent informe toute la vie politique. On peut considérer qu’à part quelques rassemblements autorisés par le régime à Yopougon, fief de l’opposition, une seule marche a été autorisée par le gouvernement Ouattara, en octobre 2016.

La raison en est fort simple, et les médias occidentaux dans leur ensemble ont failli sur ce point dans leur tâche d’information. Le parti présidentiel de M. Ouattara, le Rdr, maîtrise au mieux un électorat naturel d’environ 30%, qui correspond à sa base ethnico- régionale Sénoufo-Malinké, augmentée de l’électorat sahélien restreint, n’ayant pas souvent pas la nationalité ivoirienne. Tout irait bien pour le régime si son allié traditionnel, le Pdci -Rda d’ Henri Konan Bédié, qui grosso modo revendique environ le même pourcentage (bloc Baoulé-Akan), votait comme un seul homme pour le camp Ouattara à chaque élection.

Mais deux facteurs brouillent cette arithmétique simpliste. D’une part la Ville d’Abidjan, métropole multiethnique et métissée de plus de 5 millions d’habitants, qui vote très majoritairement pour le Fpi, sur une base plus populiste qu’ethnique. D’autre part le découragement général des électeurs, devant la corruption et les détournements massifs d’affidés proches de la présidence. Le rattrapage ethnique dans l’armée, l’administration et l’économie font le reste : le groupe malinké (un seul groupe ethnique parmi 60) truste quasi exclusivement les postes. La population s’appauvrit (« Gbagbo Kafissa » dit le petit peuple « dioula » proche pourtant du régime : c’était mieux sous Gbagbo!)), les plus précaires sont déguerpis, tandis que des pans entiers de l’économie sont confiés en fiefs à des étrangers, notamment libanais et marocains, tandis que les ressortissants de l’ancienne puissance coloniale maîtrisent la coopération, les grands chantiers et jusqu’aux PME.

Et à chaque élection, entre sentiment de découragement, crainte récurrente de la violence, impression que tout est joué d’avance grâce à des trucages spectaculaires, la population s’abstient massivement, révélant le caractère minoritaire du régime. A plusieurs reprises, comme à la présidentielle de 2015, les observateurs honnêtes ont pu constater avec effarement des bureaux de vote désespérément vides. On peut estimer, loin des chiffres officiels largement surestimés, à un étiage de 15% le vote réel en faveur du régime.

M Affi N’guessan , faisant figure d’ « opposition de sa Majesté » et reconnu comme tel par le régime s’est vu octroyé 9% des votes, soit environ 1% de l’électorat… De quoi jeter rétrospectivement le discrédit sur toutes les opérations de vote depuis 2011, et jusqu’à la revendication en pleine « crise post-électorale » de M. Ouattara qui se targua alors de 54, 1% des voix au second tour.

Il est bien connu que seul un appui massif de l’armée et des financements français confortent seuls le régime. Extrêmement endetté, ce qui donne des sueurs froides aux investisseurs et explique les notes catastrophiques des agences de notation en termes de risques sécuritaires, le gouvernement voit en effet sa légitimité et même sa sécurité minées par des mutineries successives des soldats de fortune et des mercenaires qui ont participé, en 2011, à l’entreprise sarkozyste de déstabilisation du régime du président Gbagbo.

 

Par Michel Galy

Politologue

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