La règle de la nouvelle République qui naît d’une nouvelle Constitution et qui met les compteurs à zéro, n’est pas juridique. C’est une argutie politicienne qui a été invoquée par certains Présidents de l’Afrique francophone au terme de leurs deuxièmes mandats, pour justifier leur envie de compétir pour un troisième alors que leurs constitutions l’interdisent. On retrouve dans aucune autre sphère géographique, ce débat absolument ridicule, tant les solutions fondées sur le principe général du droit, de la permanence de l’Etat et de la continuité de sa vie institutionnelle ne souffrent d’aucune contestation. Les successions de constitutions, ne constituent pas comme les successions d’Etat et les successions de Gouvernements un sujet attractif pour les exégètes du droit parce que les solutions adoptées ne souffrent d’aucune polémique. L’architecture Constitutionnelle nouvelle ne réduit pas à néant l’ancienne, mais vient se greffer à elle en la modifiant dans les limites de ce que le constituant a entendu modifier. La nouvelle constitution ne fait pas disparaître les actes et les faits juridiques nés sous l’empire de l’ancienne, ni les conséquences juridiques qui s’attachent. Ainsi celui qui a contracté une dette, demeure débiteur de celui qui lui a consenti le prêt, si un contrat a été conclu sous l’ancienne constitution, la nouvelle ne remet pas en cause les obligations qui en résultent. Il en est de même pour les mariages, les ventes, les dommages-intérêts prononcés pour des coups et blessures faits à une personne, ainsi pour les différents mandats des élus. Rien n’est effacé à moins que la nouvelle constitution ne le prévoie expressément.
Comment peut-on croire à une affirmation aussi loufoque, selon laquelle il existerait une règle aussi dangereuse pour la sécurité juridique que celle qui prévoit qu’une nouvelle constitution créerait une nouvelle République, indépendante juridiquement de l’autre. Si on veut être logique pourquoi c’est seulement le mandat présidentiel qui est remis à zéro et non tous les mandats. De surcroît, une remise à zéro signifierait également que tous les avantages qui ont leur source dans les mandats qui sont effacés ne sont plus dus. En effet pourquoi, pour donner des avantages aux anciens Présidents, on tiendrait compte des mandats qui ont précédé la Constitution, mais quand il s’agirait de déterminer s’ils sont éligibles, on ne devrait pas en faire de même. Si le Président Alassane Ouattara croyait lui-même à une telle affirmation, il n’aurait pas réclamé au Président Laurent Gbagbo, ses avantages d’ancien premier Ministre, puisque la Constitution de 2000 était censée avoir tout effacé. Ce qui est encore plus scandaleux, c’est de voir des prétendues juristes adhérer et soutenir une thèse aussi invraisemblable car elle est une négation de la sécurité juridique et donc de la fonction de stabilisateur social et institutionnel des lois.
La notion de 1ère, 2e ou 3e République est une notion d’historiens du droit et non de juristes. Ce ne sont que des divisions en périodes de la vie constitutionnelle française. Certaines Républiques, comme la première par exemple, ont connu plusieurs constitutions car le critère retenu pour opérer la division, ce n’est pas l’adoption d’une nouvelle constitution mais les changements fondamentaux dans l’architecture institutionnelle de la République française. Ainsi la 4e République était un régime parlementaire et la 5e, un régime semi-présidentiel. C’est donc une vaste escroquerie morale que d’affirmer cette remise du compteur des mandats à zéro. Lorsqu’on se réfère au critère retenu par ces historiens, la vie institutionnelle ivoirienne n’a connu qu’une seule République, puisque depuis 1960, le régime politique a toujours été présidentiel. Force est en effet de constater que la Constitution de 2000 autant que celle de 2016 constituait en réalité des larges révisions de la constitution de 1960, et non adoption de constitutions réellement nouvelles.
Il suffit de se référer au maintien de l’article 76 de la constitution de 1960 devenu 133 dans celle de 2000 et 183 dans celle de 2016 pour le comprendre. Il dispose que : » la législation actuellement en vigueur en Côte d’Ivoire reste applicable, sauf l’intervention de textes nouveaux, en ce qu’elle n’a rien de contraire à la présente Constitution ». Si ses dispositions se justifiaient en 1960, par le fait que la législation d’un Etat souverain ne se transmet pas automatiquement à un autre, la colonie Côte d’Ivoire devenue indépendante, qui voyait sa souveraineté succédé à celle de l’Etat français sur le territoire nationale, a dû prévoir de telles dispositions pour éviter de connaître un vide juridique en reconduisant la législation qui s’appliquait quand elle était encore une colonie, en attendant de prendre des lois plus conformes à nos réalités. C’est ce qu’on a appelé le « principe de la continuité législative ». Quand sur un territoire, un même territoire, deux Etats exercent successivement leur souveraineté, il n’y a pas de continuité automatique, il faut qu’un texte pris par le nouvel Etat le prévoie. Quand c’est au sein du même Etat que des modifications constitutionnelles ou législatives interviennent, la continuité est automatique. C’est un principe général du droit que l’Etat étant permanent, l’ordonnancement juridique est une continuité. Après l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance, il était superflu de les reprendre dans les constitutions de 2000 et 2016, tant la règle de la permanence de l’Etat que nous avons invoquée plus haut qui a valeur de principe général du droit est indiscutable. Voilà pourquoi lorsqu’on examine la Constitution française de 1958, la quinzième de la République, on n’y trouvera pas de dispositions correspondantes à celle l’article 183. C’est la mauvaise foi des dirigeants africains qui contraignent les constituants à reconduire les dispositions de l’article 183. Nous ne pouvons que constater que le Président Alassane Ouattara ne voit pas cette précaution comme un frein à ses ambitions. Encouragé en cela par une certaine presse occidentale et africaine comme Jeune Afrique qui semble considérer que le respect du droit n’est pas une obligation qui s’applique aux Etats africains.
Par ailleurs il existe un autre principe qui vient apporter de l’eau à notre moulin, celui de la non-rétroactivité de la loi. En effet il signifie que les lois nouvelles ne remettent pas en cause les droits et les situations nés sous l’empire de l’ancienne loi, les modifications apportées par la nouvelle n’ont vocation ‘à s’appliquer qu’à ceux intervenus après son adoption. Par conséquent, en imposant le respect des situations juridiques antérieures, le principe de la rétroactivité établit qu’elle survive à la loi nouvelle et qu’on a pas le droit de ne pas en tenir compte. La constitution étant une loi, ceux qui l’appliquent doivent donc tenir compte du passé. Dans le cadre de l’imposture de la nouvelle République, il est donné une définition erronée et contraire de ce principe pour tromper l’opinion publique.
En espérant avoir contribué à mieux faire comprendre pourquoi contrairement à ces affirmations, le Président Alassane Ouattara n’a pas le droit de briguer un troisième mandat, j’invite les uns et les autres à faire preuve de bonne foi dans leur quête de compréhension des lois, en recherchant avant tout la vérité et la connaissance et non la justification de positions politiques car trop souvent, elles sont en conflit avec le droit
Grah Ange Olivier, Magistrat