Alors que les élections municipales et régionales doivent avoir lieu d’ici la fin de l’année 2018 en Côte d’Ivoire, l’opposition réclame une concertation avec le gouvernement afin de modifier la Commission électorale indépendante. La frange la plus radicale du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo dirigée par Aboudramane Sangaré demande, en outre, le départ du président de la commission, Youssouf Bakayoko, et la révision des listes électorales. Un FPI fractionné en deux mouvements, mais qui se retrouve sur ces points. Reste à savoir s’ils participeront ou pas au prochain scrutin. Aboudramane Sangaré, qui se présente comme président par intérim du FPI, répond aux questions de Frédéric Garat.
Quelles sont les conditions que vous posez pour participer aux prochaines élections locales ?
Aboudramane Sangaré : Disons que nous demandons seulement que les conditions soient transparentes, inclusives, justes pour qu’on puisse aller en chantant aux élections. Pour amener la confiance en Côte d’Ivoire, on a besoin d’élections crédibles. C’est vraiment cela notre préoccupation aujourd’hui. Depuis 2011, nous ne cessons d’interpeller le pouvoir, des conditions crédibles pour aller aux élections. Chaque fois, le FPI boycotte les élections. Mais là où il y a les effets, il y a la cause.
Ces conditions, c’est une refonte de la Commission électorale indépendante, la CEI, c’est une révision des listes électorales, le redécoupage pour les scrutins locaux. Cela fait beaucoup de choses d’ici la fin de l’année ?
Nous ne sommes pas obligés d’aller aux élections n’importe comment. Les conditions, c’est d’abord comme on a dit la Commission électorale indépendante. Le président n’est pas crédible. Nous ne voulons pas de ce président-là. Il faut quand même que nous allions aux élections en chantant, avec la réconciliation des esprits et des cœurs. Mais cela passe aussi par la libération du président Laurent Gbagbo, la première dame Simone Ehivet, de Charles Blé Goudé, de tous nos prisonniers, de tous les Ivoiriens contraints à l’exil.
Ces conditions, vous les aviez déjà déposées en préalable lors des dernières présidentielles, lors des législatives. Et vous savez bien que le pouvoir en place n’a pas donné suite à vos requêtes. Qu’est-ce qui ferait que ça changerait ? Et si cela ne change pas, vous allez boycotter une fois de plus les élections ?
Il faut déjà avoir la vertu pédagogique. L’opposition est dans la proposition. A chaque fois, nous proposons depuis 2011. Et pour la Côte d’Ivoire, ça ne sera jamais suffisant, il faudra à chaque fois dire que là où on va, ce n’est pas bon pour la Côte d’Ivoire. Le pouvoir aussi doit tenir compte de l’actualité. Il doit tenir compte des forces en présence, il doit tenir compte de l’état des populations.
Mais vous voyez bien que le pouvoir s’entête. Lorsqu’on lui parle par exemple de l’avis rendu par la Cour africaine des droits de l’homme, il dit faussement que c’est un avis consultatif. Lorsque vous parlez de la composition de la CEI, ils vous disent que des membres de l’opposition sont représentés dans cette CEI. Donc on voit bien que c’est un discours de sourds en fait, que personne ne veut écouter personne ?
Oui, seulement je pense aussi que le discours de sourd là aussi peut conduire à la perte d’un pouvoir, parce que le pouvoir aussi je crois, ce n’est pas le pouvoir pour le pouvoir, c’est pour satisfaire la population. Soyons sérieux, une décision de la Cour africaine s’impose aux parties. La Côte d’Ivoire était partie à ce procès, la Côte d’Ivoire a plaidé. La Côte d’Ivoire a perdu. Ce n’est pas bien. Ni un Etat hors-la-loi, ce n’est pas bien.
Oui, mais on voit bien que cela ne change rien vis-à-vis des autorités ?
Dans l’état actuel, je suis d’accord avec vous. Mais moi, je ne reste pas dans l’état actuel. Je ne rentre pas déjà dans le programme de boycott ou pas de boycott. Je demande au pouvoir de s’asseoir et discuter.
Que pensez-vous de la récente visite de Pascal Affi N’Guessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI), chez Henri Konan Bédié au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) où il a laissé entendre qu’il pouvait y avoir des alliances entre lui et Konan Bédié dans le cadre des prochaines élections. Que pensez-vous de ces manœuvres ou de ces visites politiques ?
Il n’y a rien à penser. Ce monsieur suit son chemin, il va vers son destin. Ça ne m’intéresse pas ce qu’il fait. Ce n’est pas le plus important pour moi. Chacun connaît ses forces en Côte d’Ivoire. Chacun se connaît en Côte d’Ivoire. C’est sa vision de la politique. Moi, je n’ai pas encore emprunté cette voie-là. On ne sait jamais, mais vraiment ce n’est pas le plus important ce que fait ce monsieur, ce n’est pas le plus important pour moi.
En 2020, il faudra bien que le FPI ait un candidat d’« union », on va dire, de l’opposition ?
Oui, mais ça ne sera pas n’importe comment. On nous a dit 2018, mais pas 2020. Ce sont les élections qui préparent la présidentielle. C’est la présidentielle anticipée. On ne peut pas laisser passer 2018 n’importe comment, et dire que nous allons attendre 2020. Mais ce n’est pas une fatalité que le pays prenne parti par n’importe quelle élection. Ce n’est pas une fatalité. Moi j’ai du respect pour ceux qui parlent de la politique de la chaise vide. Mais quand la chaise est bancale, c’est difficile de s’asseoir dessus.
Cela veut que puisque vous voulez aller à 2020 que vous allez effectivement participer aux élections de 2018. Ça veut dire ça ?
(Rires) Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je reverrai RFI pour donner la position finale du FPI. Il n’y aura pas de problème. Moi, aujourd’hui je vais parler au pouvoir, j’attends de voir. Et après on se retrouvera encore pour savoir ce que nous allons faire.
Un dernier commentaire sur ce qui se passe dans le parti de la Majorité, Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie en Côte d’Ivoire (RHDP). On voit bien, on sent bien que cela ne fait pas l’unanimité cette idée, ce concept de parti unifié. Vous observez cela de quelle manière ? Et quels commentaires pouvez-vous faire là-dessus ?
Vous savez, moi j’aime parler de ce que je connais. Il y a ce que dit la presse, ce qu’on rapporte. J’observe. Je bois mon petit lait, c’est possible. J’attends de voir jusqu’où ça peut aller. Quand le pouvoir nous unit, et le compromis qu’on peut faire pour le pouvoir aussi. Et quand l’opposition c’est le démon si jamais il vient, il va nous achever, nous exterminer, on finira peut-être par s’entendre. Mais nous ne sommes pas habités par un tel esprit. Nous sommes des enfants de Laurent Gbagbo. On n’a pas de haine. On n’a pas de vengeance. Donc laisser chacun vraiment régler ses petits problèmes. Le RHDP est suffisamment fort pour régler ses problèmes. Le FPI a ses problèmes, nous sommes en train de les régler. La Côte d’Ivoire a ses problèmes. Si on peut se mettre ensemble pour régler les problèmes de la Côte d’Ivoire, pourquoi pas. Pourquoi pas.
Par RFI