Interview/ Sa Majesté Tchiffi Zié Jean Gervais (Secrétaire général permanent du Forum des souverains et leaders traditionnels d’Afrique) : « Nos chefs d’Etat doivent s’habiller en tenues traditionnelles lors des sommets de l’UA »

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Porté sur les fonts baptismaux en 2008, à Tripoli, capitale libyenne, le Forum  des souverains et leaders traditionnels d’Afrique a 11 ans. La décennie consommée, le forum a-t-il a rempli ses principales missions ? Sa Majesté Tchiffi Zié Jean Gervais, son Secrétaire général permanent, fait le point. Non sans aborder les perspectives. Interview ! 

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Le Forum des souverains et leaders traditionnels que vous dirigez a-t-il atteint ses principaux objectifs, un peu plus d’une décennie après sa création ?

Il faut dire que notre organisation qui a été créée en Lybie, à Tripoli en 2008, avait des objectifs très clairs. D’abord aider l’Afrique à s’unifier. Et à l’intérieur de cet objectif, il fallait mettre en place  des stratégies pour arriver aux points finals. Le premier point de ce projet était de donner la crédibilité aux rois et leaders traditionnels du continent africain. Parce qu’à cette époque-là, les rois et chefs traditionnels étaient considérés comme des auxiliaires de l’administration. Ils étaient comme des « applaudimètres » pour les cérémonies politiques. Nous nous sommes battus pour faire reconnaitre nos valeurs dans les différentes constitutions en Afrique. Vous avez des exemples palpables : le Cameroun, la RDC, le Congo, la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud, pour ne citer que ceux-là.  Cet objectif a été atteint. Et nous avions aussi un autre objectif qui était de créer les Etats Unis d’Afrique. Il fallait avoir une armée unique, un passeport unique. Le passeport africain a été créé et reconnu. Un autre point était qu’on crée un pont entre les afro-descendants et l’Afrique.  Pour faciliter leur retour. Là aussi c’est un grand succès. Nous avons mis en place la 6e région africaine qui est aujourd’hui le pont pour le retour de nos enfants.

Pourquoi organiser le retour de vos enfants ? Sont-ils malheureux là où ils sont ?  

Lorsque nous prenons la diaspora, c’est à peu près 350 millions d’enfants qui vivent à l’extérieur. Or, l’Afrique a besoin de se développer. Ce sont nos têtes qui sont allées se former. D’autres y sont allés accidentellement, par la voie d’esclavage. Ces enfants ont réussi là où ils sont. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la contribution qu’ils apportent à leur famille respective. Si on fait le point global, on se rend compte que le montant est plus élevé que l’aide au développement que les occidentaux apportent à l’Afrique. Au départ, nous avions pensé à une zone franche pour permettre à l’Afrique d’y implanter des industries. Chaque Etat pouvait avoir accès à une parcelle pour booster le développement du continent.  Mais quand nous avons eu l’autorisation de la création de la 6e région par le conseil des rois, nous nous sommes dit que la 6e région va nous aider à occuper la zone de libre échange. Ça veut dire qu’il y a un territoire où investir pour les afro-descendants. Ils pourront donc construire des usines pour absorber une main d’œuvre africaine tentée par l’eldorado européen et qui meurt dans la mer. C’est à cela qu’on s’attelle pour trouver des emplois à nos enfants, pour ne pas qu’ils prennent d’énormes risques, en se faisant maltraités sur les routes de la migration irrégulière. On peut ajouter à cela notre combat pour la restitution des biens mal acquis par les Européens.  Vous savez que le frère Guide Kadhafi, dans sa politique, avait amené l’Italie à verser des réparations financières pour le mal fait à la Libye lors de la colonisation. La dernière fois que j’ai rencontré le président français au sommet de la Mauritanie, je lui ai posé la question de savoir où on en était avec la restitution des biens mal acquis en Afrique.  Il m’a rassuré qu’il a mis en place une commission pour que tous les biens soient restitués.

Vous avez parlé du Guide libyen Mouammar Kadhafi. Il avait une ambition pour l’Afrique, notamment la création des Etats Unis d’Afrique, avec une monnaie unique. Inscrivez-vous dans le sillage de la monnaie unique ?

La monnaie unique s’impose à l’Afrique. Nous sommes exploités. Des gens fabriquent notre argent. Cet argent fabriqué chez eux ne peut être échangé chez eux. Il y a problème. Vous nous demandez si nous partageons la vision du frère guide. Nous pouvons vous dire que nous ne sommes pas loin de l’aboutissement.  Je vais vous faire une confidence. Au sommet des chefs d’Etat de 2008, c’était une première pour les rois, nous avons eu de gros problèmes. J’étais le chef de notre délégation. On a été humilié. Un des chefs d’Etat dont je tairai le nom, disait que le temps des rois est passé. Nous sommes aujourd’hui dans le modernisme. S’il y a un roi de mon pays parmi ceux qui sont là, dès que je retourne au pays, je le fais arrêter. C’était désagréable. Quand nous sommes repartis en Libye, j’ai échangé avec le frère guide. Je lui ai dit que ce que nous venons de vivre, c’est un désaccord personnel entre lui et ce chef d’Etat. Je me suis proposé avec un comité restreint d’aller vers lui pour comprendre le fond du problème. Et, éventuellement les rapprocher. Ce jour là, le frère guide n’a pas cru que je pouvais le faire (Rires). Il m’a néanmoins autorisé  à conduire cette mission. Ce chef d’Etat m’a confié que ce qui les divise, c’est le contenu de l’Union africaine. Je lui ai demandé de se réconcilier avec son frère guide. Il s’est rendu en Libye et s’est réconcilié avec son frère. Après, le frère guide m’a demandé comment j’ai fait. Je lui ai dit que j’ai utilisé la « diplomatie traditionnelle » (Rires).  

Quels sont vos rapports avec l’Union africaine ? Etes-vous consultés sur les dossiers « chauds » du continent ?  

Nous avons de très bons rapports avec l’union africaine.  Je félicite les chefs d’Etat africains. Et je félicite les pays qui organisent les sommets des chefs d’Etat africains. Même depuis la mort du frère guide, à chaque sommet où je me rends, même sans invitation, je suis traité avec égard et bienveillance.  Sur ce point, je n’ai rien à reprocher à l’Union africaine. Seulement, l’Union africaine est une institution très lourde. Après un sommet, les décisions prises doivent être mises en route par des personnes.  C’est ce que nous essayons de faire.

Permettez-moi d’insister. Est-ce que l’Union africaine vous « utilise » dans ce que vous avez appelé « diplomatie traditionnelle » ?

On n’est pas encore officiellement utilisé. Le cas typique est celui de la Centrafrique. J’y suis allé. J’ai parlé avec tout le monde. Y compris les rebelles. Je suis parti à l’Union africaine, voir la commission « paix et sécurité ». J’avais besoin d’un pays hôte pour recevoir les belligérants, je n’ai pas eu de suite.

Aucun pays ne s’est porté volontaire ?   

J’ai contacté des pays, mais je n’ai pas eu de réponse. Favorable ou pas, ça a été un silence. Et j’ai compris. J’ai été un peu déçu. Quelques années en arrière, je les aurais reçus dans mon palais. Hélas, ce n’est plus comme avant. Jusqu’aujourd’hui, les rebelles continuent de soutenir que c’est en ma médiation qu’ils avaient confiance.

 Se déplacer en avion, faire déplacer ses pairs en avion, tout cela a un coût. Qui finance vos activités ? Le guide libyen, qui n’est plus, était cité par le passé. Qu’en est-il réellement ?  

Après le décès du frère guide Mouammar Kadhafi, et après l’arrestation de l’ex-président Ivoirien, Laurent Gbagbo, j’ai perdu mon palais de Tripoli, mon palais d’Abidjan a été pillé, le coffre fort éventré. Nous fonctionnons de dons et de legs. Beaucoup croient à ce que nous faisons. Et ils nous soutiennent. J’ai un cabinet en Afrique du Sud. S’il y a une mission, il la planifie.  Je ne sais pas d’où sort l’argent. Je ne gère pas l’argent. Même du temps du frère guide Mouammar Kadhafi, il m’avait donné 500 millions Fcfa Cfa (environ 769 000 euros). Je lui ai dit que je ne sais pas gérer l’argent. Il avait nommé un directeur financier qui gérait cet argent. Quand j’avais besoin d’argent, je venais et je signais comme tout le monde. Le frère guide me donnait de l’argent pour moi, qui n’avait rien à voir avec l’argent du forum. Tout ce que je voulais, il me donnait pour que je puisse vivre. Si les gens n’avaient pas pillé mon palais d’Abidjan, je pouvais faire beaucoup. En 2013, lorsque nous avons eu le congrès qui m’a réélu en Guinée équatoriale,  le président équato-guinéen, Obiang Nguema a mis à la disposition de notre association, 2 millions d’euros. Je n’ai jamais touché cet argent. J’ai demandé que les gens présentent des projets pour qu’on les finance. Cet argent est là.

Justement, parlant de la Guinée équatoriale, à la suite des ennuis judiciaires en France, du fils du président équato-guinéen, Teodorin Obiang Mangue Nguema, par ailleurs vice-président de son pays, vous vous êtes offusqué du traitement qui est fait aux leaders africains dans la lutte contre les biens mal acquis. Vous dénoncez l’iniquité dans cette lutte. Vous avez même traduit en justice des ONG pour leur zèle. Ne craignez-vous pas d’être pris pour des complices de certains leaders qui pillent leur pays ? 

 Si ça vient des Africains, je n’aurai aucun problème. Si ça vient des Blancs, ils auront des problèmes avec moi. Parce que chez eux, ils pillent, ils volent, ils tuent. S’il y a un petit problème en Afrique, ils donnent de la voix. Sur quel continent on n’a pas ce genre de problème. L’Afrique est à l’école de la démocratie. La démocratie est associée à la bonne gouvernance. Nous sommes en train de nous battre pour avoir la démocratie. Si éventuellement, il y a ces genres d’erreurs, je pense que, nous qui voulons le bien-être de l’Afrique, nous devons approcher ces dirigeants pour leur dire, ça, ce n’est pas le chemin. Il n’appartient pas aux Blancs de porter plainte contre un président africain. C’est comme s’ils avaient touché la cour royale. L’Afrique n’est pas à leur disposition. Nous ne sommes pas une plantation des Blancs.  Il faut qu’on respecte nos chefs d’Etat.

Vous avez dit « off the record » avoir joué un rôle dans la mise en place de la zone de libre échange (Zlec).  Quel est ce rôle ?

Il y a des choses qu’on ne dit pas sur la place publique. Sachez simplement que c’est un vieux projet. Je pensais à un nouveau pays qu’on allait créer. Bref. Souffrez que je n’en dise pas plus. Sachez simplement que nos jeunes meurent dans l’eau en voulant rejoindre l’Europe.  Si on ne crée pas sur place des emplois, ils seront encore plus nombreux à défier la mort.

Quelques mois en arrière, vous avez organisé en Afrique du Sud une cérémonie de repentance. Certainement pour expier le péché d’Afrique. Ce qui porte à croire que les solutions aux problèmes de l’Afrique peuvent aussi venir de la prière. C’est cela ?

Les Africains quittent l’Afrique pour aller en pèlerinage dans d’autres pays. Les Français vont à Lourdes ; les Israéliens vont chez eux ; les Chinois ont leur endroit. Est-ce que les Africains ont leur lieu de pèlerinage ? Evidemment, non. Pourtant l’Afrique est le berceau de l’humanité. Il y a une place en Afrique du Sud, appelée Adams Calandar. L’endroit où l’humanité a été créée. Quand j’ai fait la découverte de cette place, je me suis dit, il faut que j’appelle mes frères. Puisque l’humanité a été créée par Dieu, j’ai choisi le jour de la descente du Saint-Esprit pour inviter les leaders des autres associations pour se joindre à moi, pour implorer Dieu. Et découvrir Adams Calandar, dans l’intérêt de tous les Africains. Pour qu’ils aient un repère, un endroit de pèlerinage.

Pourquoi avez-vous changé la dénomination de votre organisation ?

C’était à l’initiative du roi Ashanti. Il a estimé qu’au lieu de Forum des rois, sultans, princes, cheicks et leaders traditionnels, visiblement un peu long, qu’on dise simplement Forum des souverains et leaders traditionnels d’Afrique. Lorsqu’en 2013, nous nous sommes retrouvés, j’ai soumis cela à l’assemblée. Et ça a été adopté par acclamation.  

Vous avez été proche du Guide libyen. Y a-t-il une anecdote de lui que vous voulez partager avec nous ?

Ce n’est pas le moment (Rires).  

Un message ?

Je voudrais m’adresser aux chefs d’Etat africains. Je les remercie pour ce qu’ils font. Mais je leur dis qu’il n’y a pas de société sans repère. Je souhaite qu’à chaque sommet de l’Union africaine, que les chefs d’Etat invitent au moins un roi. Ce n’est pas à moi que je fais référence. Si à un sommet, le roi d’Ashanty est invité, le sommet d’après le Moro Naba suivra, le roi Zulu ensuite, et ainsi de suite, je serai comblé. C’est important. L’autre chose que je voudrais leur demander, c’est de venir aux sommets de l’Union africaine en tenues traditionnelles. Pourquoi un seul jour, les chefs d’Etat ne font-ils pas plaisir à l’Afrique ? Qu’attendent-ils pour donner un siège aux rois d’Afrique ? Ce sont des choses auxquelles les rois restent attentifs.

Interview réalisée par Tché Bi Tché

tbt552@yahoo.fr

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