Interview/Leila Zerrougui (Représentante spéciale de l’Onu pour la RDC) : « J’aimerais voir la page du conflit tournée »
En marge des débats, fin septembre, à l’Assemblée générale de l’Onu, la radio des Nations Unies a reçu, dans son magazine hebdomadaire, dénommé « Escale », la Représentante spéciale de l’Onu pour la RDC, Leila Zerrougui. Avec elle, il a été question de l’élection présidentielle qui a porté Félix Tshisekedi au pouvoir, des groupes armés et du virus Ebola qui fait des ravages dans l’Est du pays. Interview !
Quel message êtes-vous venue porter ?
Je suis porteur d’un message positif. Vous savez que la RDC est l’objet de beaucoup de tensions depuis mon arrivée, l’année dernière. Même bien avant, avec mon prédécesseur. Des tensions liées à toutes les incertitudes que ces élections (présidentielles, ndlr) pouvaient générer. Les élections ont eu lieu. C’était pacifique. Pour la première fois depuis l’histoire de la RDC, nous avons eu, depuis son indépendance en 1960, un transfert de pouvoir pacifique à travers les élections. Nous avons eu un président qui a quitté le pouvoir, à 46 ans, à travers les élections. Et celui qui représentait son parti, le fils du grand militant et opposant historique de la RDC, qui prend le pouvoir. Les congolais n’ont pas encore vu les acquis, mais ils étaient contents, parce que c’est quelque chose de nouveau. Depuis longtemps, on arrive au pouvoir par les coups d’Etat, par les assassinats. C’est cela la réalité. Aujourd’hui, on voit une cérémonie de passation de pouvoir avec le président sortant et le président entrant. C’est extraordinaire, parce que c’est la première fois que le peuple voit un transfert pacifique. Bien évidemment, il faut capitaliser ce message. Ce qui vient de se passer n’est pas un accident de l’histoire, mais une réalité de progrès auquel les Nations Unies ont contribué. C’est arrivé parce qu’il y a maturation, parce qu’il a eu des efforts, parce qu’il y a eu cette volonté de changement. Il faut aller au-delà et travailler à la consolidation des acquis pour répondre aux aspirations du peuple congolais.
A la tribune des Nations Unies, le président Tshisekedi a dit que son pays aspire à l’émergence. Il a dit que la RDC avait besoin d’une Monusco forte, bien équipée, avec un mandat adapté, évoquant la brigade d’intervention rapide qui a mis en déroute le M23 il y a quelques années. A quelle Monusco peut-on s’attendre et avec quel rôle face aux divers groupes armés ? Quelle Monusco souhaiteriez-vous voir ?
Aujourd’hui, nous attendons les conclusions de la stratégie prévue, de la revue stratégique sur les perspectives du changement de mandat qui aura lieu en décembre. La revue stratégique sera présentée par un expert indépendant en octobre pour proposer la valeur ajoutée d’une mission dont le mandat sera renouvelé dans ce contexte nouveau. Pour moi, ce qui est fondamental et essentiel, c’est de consolider la paix. C’est de travailler sur le renforcement des fonctions régaliennes de l’Etat. Une mission de maintien de la paix, ce n’est pas seulement une force donnée. C’est aussi tout le travail que nous faisons pour renforcer les fonctions régaliennes de l’Etat. Je parle de la professionnalisation de l’armée ; je parle de la police, je parle du renforcement de la justice. Je parle de toute la médiation qu’on fait entre partenaires qui sont en train de s’inscrire dans un processus politique nouveau, où il y a une place pour l’opposition, où il y a une coalition, une majorité qui gouverne. Il faut amener le gouvernement à prendre des décisions qui vont renforcer cette perspective. Il faut travailler avec le gouvernement sur les groupes armés. Pour moi beaucoup doit être fait pour identifier les causes profondes qui amènent les gens à prendre les armes dans leur pays. Est-ce que ce sont des questions de réconciliation ? Est-ce que ce sont des problèmes d’accès à la terre ? Est-ce que ce sont des problèmes d’injustice ? Il faut d’abord régler les problèmes internes qui doivent ramener les populations du coté des autorités et réduire les influences des groupes armés. Bien sûr, il faut la pression militaire. Bien sûr, il faut les amener à déposer les armes, il faut les amener à cesser les violations qu’ils commettent, à cesser la déstabilisation. Il y a en amont tout le travail qui doit être fait. C’est ça que nous essayons de faire. S’il n’y a pas eu de travail pour appuyer ces élections, pour qu’elles soient pacifiques, peut-être qu’on n’en serait pas là, en train de parler aujourd’hui de ce qu’on essaie de faire. Oui je comprends ; le gouvernement souhaite se débarrasser de la menace des groupes terroristes. Nous travaillons avec eux. Nous avons un mandat d’appui aux forces armées de la RDC pour mener des opérations conjointes, pour appuyer les opérations unilatérales de la RDC, dans le cadre du mandat que le Conseil de sécurité nous donne. Nous sommes aujourd’hui déployés dans 6 provinces sur 26.
Autre grand défi et priorité pour la RDC, c’est la lutte contre Ebola. Le virus continue de sévir dans l’Est du pays. Une nouvelle stratégie a été mise en place pour le déplacement d’un centre de coordination au cœur de la zone infectée. On a annoncé que de nouveaux médicaments allaient être administrés. Où en sommes-nous dans la riposte au virus Ebola ?
Vous savez, la riposte au virus Ebola n’est pas le mandat de la mission. C’est le mandat de l’OMS. Mais à cause du fait qu’Ebola est sortie dans une zone de conflit, où il y a des groupes armés, nous avons la responsabilité de permettre à ce que la riposte puisse se faire. Parce que la zone était au cœur des tensions, il y a eu des attaques contre les gens qui procédaient à la riposte. Le travail de la mission, c’était de créer la stabilisation pour permettre à la riposte de se faire. Vous savez que la zone où Ebola s’est déclarée est une zone frontalière, à cheval sur l’Ouganda et le Rwanda. Il y a des risques que la maladie se propage. Tout cela a amené la mission à s’impliquer directement. A travers le renforcement de nos capacités. Pour apporter l’appui et le soutien à la riposte. Bien entendu, ce sont l’UNICEF, le HCR, l’OMS qui travaillent sur les soins médicaux. Sur les 3000 affectées, plus 1000 personnes ont été guéries. Parce que contrairement à ce qui s’est passé en Afrique de l’Ouest, quelques années en arrière, le vaccin existe aujourd’hui. Des centaines de milliers de personnes ont été vaccinées. Et ce n’est pas rien. A la sortie des zones infectées, nous avons pu identifier les personnes malades.
Quelle RDC aimerez-vous voir l’année prochaine ?
J’aimerais voir tous les groupes armés réintégrés et la page du conflit tournée.
Retranscrit par Tché Bi Tché
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