LE PAYSAN QUI A TRAHI LA TERRE est une œuvre romanesque publiée en 2022 par les soins de JD Edition. Cette œuvre a pour auteur Ferdinand Kadjané, écrivain ivoirien.
Elle est longue de 100 pages et est subdivisée en 5 parties titrées. Le titre de l’œuvre intégrale « LE PAYSAN QUI A TRAHI LA TERRE » nous installe dans le monde paysan. Il frappe par sa construction antithétique.
Un paysan et la terre sont, logiquement, un couple harmonieux, lié à vie. Mais ce titre nous révèle qu’il y a une rupture du fait du paysan. Cette rupture causée par un paysan constitue un danger. C’est en mon sens ce péril que Ferdinand Kadjané essaie de mettre en évidence à travers cette fiction romanesque.
De quoi s’agit-il ?
Pour se construire une place au soleil, Boukary et ses enfants quitte leur bercail pour une autre zone connue pour la générosité de ses terres et l’hospitalité de ses habitants. Le jour de ce départ, Boukari sous la pression de ses enfants, est obligé d’y aller avec un autre enfant qui n’est pas le sien du nom de Tapsoba. Sur leur terre d’accueil, Boukari, réussit par la force de ses muscles à s’imposer comme une personnalité importante.
La suite du roman nous fait découvrir comment des liens fraternels vont se tisser entre Yaami et Tapsobla puis entre Nafiassou et N’Fesso jusqu’à prendre une allure légendaire pour ne pas dire mystique.
Mais la cohabitation entre autochtones et allogènes n’a jamais été chose aisée. La décroissance des terres cultivables est cause de nombreux conflits fonciers surtout lorsque les autochtones constatent l’enrichissement fulgurant des allogènes. Souvent, ces derniers sont perçus comme la source des malheurs des propriétaires terriens.
Dans ce livre, un personnage du nom d’OKA, membre du conseil du village va se distinguer par son talent de manipulateur indécrottable. Il est le cerveau du complot dont le but est d’allumer un conflit entre les autochtones et les allogènes. Pour arriver à ses fins, il instrumentalise la jeunesse et travaille à fragiliser le chef du village. Ce personnage va faire incendier les greniers et des plantations de quelques allogènes mais aussi les siens. Un paysan qui brûle un grenier, la banque des agriculteurs, l’assurance d’un avenir tranquille, le signe d’une autosuffisance alimentaire, est pour l’univers agricole un traître voire un ennemi.
Au bord d’une guerre fratricide, le Chef N’Fesso et Nafiassoou, les « deux-plus-que-amis », se sentent interpellés pour désamorcer la bombe. Ils puisent au fond d’eux-mêmes la force morale nécessaire pour barrer la route aux fauteurs de trouble. Les comploteurs, démasqués, passent aux aveux et sollicitent le pardon des deux communautés. La sauvegarde de la paix n’a été possible que grâce la force et à la profondeur des liens d’amitié qui existent entre N’Fesso et Nafiassou.
Que retenir ?
L’espace rural est un véritable laboratoire qui permet de prendre le pouls d’un peuple dans sa nudité et sa réalité. La plupart des pays africains étant agricoles, le monde du paysannat est souvent exposé à des périls consécutifs à la disparation progressive de terres arables.
Ferdinand Kadjané, dans cette œuvre romanesque, plaide pour la fraternité, la tolérance et la concorde incarnées ici par N’Fesso et Nafiassou, mais aussi Yami et Tapsoba.
L’écrivain, de ce point de vue, dénonce la discrimination fondée sur l’ethnie ou l’origine tribale. Pour lui, la terre nourricière en tant que matrice, est le symbole de la générosité et du partage. Elle ne saurait, en conséquence, constituer une cause de conflit.
L’écrivain fustige également la manipulation et la duplicité de tous ces esprits tourmentés qui attisent le feu de la haine pour en tirer des dividendes égoïstes.
Ce roman foisonne de thèmes d’actualité dont les plus saillants sont la gestion du pouvoir, l’exploitation des enfants, l’autorité du chef, le conflit foncier, la cohésion pacifique, la fraternité, la manipulation de la masse, l’immigration, la dangerosité des rumeurs.
LE PAYSAN QUI A TRAHI LA TERRE révèle le talent d’observateur avisé du monde rural de notre écrivain. En exploitant à travers une fiction les tourments qui agitent le monde rural, l’auteur nous donne l’occasion de mieux l’interroger afin de mieux le comprendre.
Suite à Bernard Dadié avec son œuvre autobiographique Climbié et Venance Konan et ses romans comme robert et les Caterpillas, F. Kadjané nous renoue avec le monde paysan, lieu où se tisse le futur de la côte d’Ivoire, pays dont l’avenir repose sur l’agriculture.
Le roman, Le paysan qui a trahi la terre, est porté par une écriture alerte et panachée. Le vocabulaire utilisé dans cette œuvre est relativement accessible. La structure des phrases obéit à l’ordre classique et se garde des constructions alambiquées qui déroutent le lecteur moyen. L’auteur a souvent recours à des images et des expressions qui frappent par leur originalité.
En outre, Kadjané mêle simplicité et profondeur.
Sa simplicité repose sur son souci de se faire comprendre afin que le message qu’il véhicule touche sa cible. À quoi bon aligner des phrases absconses si le but d’une œuvre littéraire est de partager des émotions avec un lectorat et impacter son comportement dans le sens positif ?
La profondeur de ce livre tient du fait qu’au détours de chaque chapitre, le lecteur se surprend en train de méditer sur diverses problématiques dont les plus importantes sont :
Quel est l’avenir du foncier dans un pays comme le nôtre où la courbe de la disponibilité des terres est descendante pendant que celle de la démographie est ascendante ? L’amitié et la fraternité seront-elles toujours assez fortes pour prévenir les fractures sociales et les divisions qui annoncent les tragédies ? Pourquoi faut-il, pour certaines personnes, au milieu du beau temps défier les forces de la nature afin que surgisse la tempête ?
LE PAYSAN QUI A TRAHI LA TERRE est certainement un livre utile et précieux pour les habitants de la Côte d’Ivoire, pays pris au piège des questions liées au foncier. Il donne à nos décideurs d’aujourd’hui et de demain un corpus riche de questionnements et de sujets de méditation.
À travers la mise en fiction des problèmes qui secouent la société, l’écrivain s’oppose au monde en déconstruction, en proposant à son lectorat les valeurs cardinales que sont la fraternité, la tolérance, le partage, la concorde. F. Kadjané a fait sa part, il nous revient, nous lecteurs, de faire notre part pour donner une vie, un avenir à son roman.
Par Etty Macaire