Côte d’Ivoire : Un proche de Gbagbo fait des révélations sur le 11 Avril

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Junior Taboudou, ancien membre de la galaxie patriotique, fut membre du cabinet politique de l’ancien ministre d’Etat, ministre de la Défense nationale, Moïse Lida Kouassi.  Acteur et témoin de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, l’homme politique répond pour la première fois à des questions sur la guerre qui a eu lieu dans son pays. Et c’est au micro de Banouto. Vivant dans des pays de la sous-région ouest-africaine depuis la chute du régime Gbagbo, c’est à Cotonou que Junior Taboudou accepte de nous accorder l’interview. Et ce, le 11 avril 2018, jour du 7è anniversaire de chute du régime Gbagbo. « C’est un jour douloureux, mais de renaissance pour moi », confie-t-il le visage un peu triste, mais l’air confiant. Il est un peu plus de 16 heures à Cotonou quand il reçoit l’équipe de Banouto dans un restaurant, non loin de la plage de Fidjrossè. Le soleil qui dicte depuis plusieurs semaines sa loi à la population, prend encore son temps pour aller se coucher comme un chameau de course du Nord-Niger qui a épuisé ses réserves d’eau en pleine compétition. Vêtu d’un pantalon jeans bleu et un sous-vêtement blanc couvert par une tenue traditionnelle de l’Ouest de la Côte d’Ivoire de couleur orange, l’homme qui se fait appeler « Digne renaissance Afrique » a la tête entièrement rasée. La barbe coiffée en forme de couronne, il a demandé à la tenancière du restaurant qu’il semble connaître de couper la musique pour ne pas nous déranger. « On va discuter, donc laissez-nous », a-t-il souhaité. Mais avant qu’il ne soit disposé à entendre la première question, Junior Taboudou a tenu à faire une précision. « C’est la première fois que j’accorde une interview sur les tristes événements qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire pendant la crise postélectorale », a-t-il souligné indiquant qu’il n’avait auparavant accédé à aucune requête dans ce sens. C’est donc une première pour celui qui se présente comme le « fils politique du ministre d’Etat Moïse Lida Kouassi ». Interview.
 

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Le 11 avril 2011, le président Laurent Gbagbo aujourd’hui détenu à la Cour pénale internationale tombait, et avec lui son régime. 7 ans après, quel sentiment vous anime ?

7 ans après, c’est un sentiment de choc, un sentiment de dégoût qui m’anime. Parce qu’il fallait être en Côte d’Ivoire pour voir de visu, la souffrance des Ivoiriens aux mains nues face aux chars et avions de guerre français. C’était un véritable massacre des populations civiles.
Comment comprendre que pour le règlement d’une crise postélectorale, on a préféré en lieu et place du recomptage des voix avec toutes les grandes puissances internationales tel que proposé par le président Laurent Gbagbo, la guerre.
Cela, encore que le président Laurent Gbagbo n’avait aucune obligation de faire cette proposition d’autant qu’il a été déclaré vainqueur des élections par le conseil constitutionnel, instance habilitée au regard de la Constitution ivoirienne à proclamer les résultats définitifs.
Le président de la Commission électorale indépendante (Cei), Youssouf Bakayoko qui a déclaré Alassane Ouattara vainqueur, lui, au regard de la loi était forclos.

La forclusion de la commission électorale dont vous parlez n’a-t-elle pas été provoquée par un proche du président Gbagbo ?

Je voudrais d’abord dit que, Damana Pickass puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’était pas le représentant du président Laurent Gbagbo quoiqu’il soit l’un de ses bons fils politiques. Damana Adia Pickass était le représentant de l’Etat de Côte d’Ivoire à la Commission électorale indépendante à travers le ministère de l’Intérieur.
Concernant l’acte, il faut dire que ce n’était pas le président de la Commission électorale qui proclamait les résultats mais plutôt Yacouba Bamba, un des vice-présidents de la Cei et représentant du candidat Ouattara.
Ce dernier, alors que les autres commissaires discutaient sur des résultats qui posaient problème, le nombre de votants était plus élevé que celui des inscrits, s’est présenté devant les cameras des chaînes internationales uniquement pour présenter des résultats non consolidés.
C’est ainsi que Damana Pickass, informé, est intervenu pour lui demander d’arrêter. Mais face à l’opposition de Yacouba Bamba qui devait donner un alibi à la France de Sarkozy pour imposer à la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, il n’a eu d’autres choix que de lui arracher les documents qu’il avait.

Vous semblez disposé à parler d’histoire. Vous êtes aujourd’hui en exil politique. Comment est-ce que vous vous retrouvez dans cette position ?

Avant de répondre, je voudrais revenir sur l’avant 11 avril 2011 et partager un témoignage avec vous pour ne pas dire deux.
Le premier, c’est que le président Laurent Gbagbo, en 2010, n’a pas fait l’option de la guerre. C’est au nom de la paix, qu’il avait demandé le recomptage des voix sur la base des procès verbaux que chacun des candidats détenait. Mais il a buté sur un refus de la France et de Ouattara. Un drôle de comportement pour quelqu’un qui clamait partout qu’il est le vainqueur de la présidentielle.
Le deuxième témoignage que je veux partager avec vous, c’est que c’est la France de Sarkozy et ses alliés qui ont installé Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire.

Comment cela ?

Le 28 mars 2011, ce sont les soldats français qui décident de permettre aux soldats rebelles qui avaient occupé plus de 60% du territoire donc la zone Nord et centre, de descendre sur la zone sud qui était la zone gouvernementale. Ce sont les soldats français qui ont d’abord bombardé l’armée régulière pour faire progresser les rebelles sur les positions des Forces de défense et de sécurité.
Il est bon de vous rappeler qu’en novembre 2004, lors de ce qu’on a appelé la bataille des six jours, les soldats français avaient déjà détruit tous les avions de combat de l’Etat de Côte d’Ivoire. En mars 2011, ils sont libres dans les airs. Donc ils ont commencé à bombarder les forces régulières. Et quand les soldats, surpris par les bombardements, se replient sur Abidjan en vue d’une riposte bien organisée, les soldats rebelles passent tranquillement et c’est comme cela qu’ils ont foncé sur la zone gouvernementale jusqu’à Abidjan.

Et qu’est-ce qui se passe, une fois les soldats rebelles à Abidjan ?

Quand les soldats rebelles arrivent à Abidjan, une partie est occupée, précisément Abobo, par ce qu’on a appelé le commando invisible.
A Abidjan, je tiens à préciser que la bataille se déroule d’abord entre les forces armées régulières et les rebelles. Et très vite, l’armée régulière prend le dessus sur les soldats de la rébellion. C’est ainsi que l’armée française entre officiellement dans la bataille à travers ses bombardements qui débutent le 31 mars.

Ce 31 mars 2011, je vais à un meeting à Yopougon Adokoua, vers la zone du commissariat du 17è arrondissement. J’y suis donc avec Jean-Jaurès Doué pour un grand meeting. Après l’intervention de Jean-Jaurès Doué qui est un grand analyste politique ivoirien, moi, je devais intervenir. Il était en pleine intervention quand je reçois un coup de fil et mon interlocuteur me dit exactement ceci : « Le sort de la Côte d’Ivoire est scellé, le sort de la galaxie patriotique est scellé, le sort du peuple de Côte d’Ivoire est scellé, le sort du président Laurent Gbagbo et de tous ses collaborateurs est scellé ».

De qui était l’appel ?

(Rire). Je ne vous dirai pas de qui était l’appel mais je puis vous garantir qu’il s’agit d’une source américaine très crédible. Plusieurs mois déjà avant la présidentielle de 2010, sur information de cette source, j’avais été le premier, toute modestie mise à part, à dire que Philippe Mangou, ex-chef d’Etat major du président Laurent Gbagbo, Edouard Kassaraté, ex-commandant supérieur de la gendarmerie et bien d’autres officiers avaient trahi le régime. A l’époque, personne ne me croyait mais quelques années plus tard, mes révélations ont été confirmées.
Donc quand cette source m’a informé, j’étais inquiet non pas pour moi mais pour le chef de l’Etat et pour nos amis qui allaient mourir. Je lui demande ce qu’on peut faire et elle me dit que la seule solution, c’est de quitter la Côte d’Ivoire parce que l’impérialisme avait scellé le sort de la Côte d’Ivoire et que dans les trois heures qui suivraient nos échanges téléphoniques, l’armée française allait frapper, non pas la nuit, ni au petit matin, mais en plein jour. Et effectivement, c’est vers 14 heures que les premières frappes de l’armée française ont été enregistrées. Les poudrières de l’armée ivoirienne ont été totalement détruites, la résidence du président a été réduite à néant, idem pour la Rti (Radio et télévision ivoirienne Ndlr).
Le meeting se passait entre 11 et 12 heures. J’ai aussitôt appelé le ministre d’Etat Moïse Lida Kouassi pour l’en informer et lui demander de sortir également du pays. Ce jour-là, j’ai coulé des larmes parce que le ministre d’Etat Lida Kouassi qui avait déjà l’information m’a dit: « Non, jeune. Toi, tu peux sortir du pays. Tu peux appeler certains de tes amis et vous irez hors du pays. Mais moi, je ne sortirai pas. Car quoique mes tentatives pour porter l’information au chef ont été vaines, je me dois d’être là tant que le président Laurent Gbagbo tient la barre. Il peut avoir besoin de moi, à tout instant. Je ne lui dirai pas que je suis déjà sorti du pays. Je dois être le dernier dans son entourage à l’abandonner. Je sais qu’il est dans une mission divine et nous autres nous devons l’aider à accomplir sa mission, advienne que pourra. Alors, bon vent. Jeunes, sortez pour continuer cette lutte sans faiblesse ». Voilà comment, du meeting, je sors du pays avec certains amis notamment Jean-Jaurès Doué et Stanislas Gnénéfé Nahounou dit Bafana.
Mais en sortant, nous avons constaté que les rebelles qui étaient déjà à Abidjan avaient commencé par massacrer tous les partisans du président Laurent Gbagbo.

Depuis le 31 mars 2011, vous êtes en exil. Comment est-ce que se passe cette vie loin de votre patrie ?

Aujourd’hui, en exil, c’est difficile. C’est difficile puisque, abandonner son peuple, ses parents, ses amis, son pays et être contraint à vivre chez l’autre, c’est compliqué. Mais nous estimons que c’est le prix du combat que nous avons choisi. Cela, encore que les peuples qui nous accueillent, nous permettent d’avoir la sécurité et la paix.

Il y a quelques années de cela, le chef de l’Etat Alassane Ouattara a appelé ses compatriotes à revenir au pays. Certains de vos camarades d’hier ont répondu à l’appel mais vous non. Pourquoi avoir décidé de rester en exil ?

Pour vous répondre, je vais paraphraser le président Thabo Mbeki. Il a été médiateur dans la crise ivoirienne. A ce titre, il a rencontré les présidents Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Et c’est lui qui a dit que « M. Alassane Ouattara ne connait pas le sens et l’honneur de la parole donnée et qu’il sera toujours surpris de voir que ce monsieur puisse tenir parole ». Oui, M. Ouattara a demandé aux Ivoiriens de rentrer au pays. Mais quels sont les actes qu’il a posés dans ce sens ? Les faits, c’est que nos amis qui ont eu un peu de chance sont torturés et gardés en prison. Au domicile du président Laurent Gbagbo, les avions ont exterminé des milliers d’Ivoiriens. Parlez de trois mille morts, ce n’est pas juste. On a enregistré en Côte d’Ivoire, pour la seule crise postélectorale de 2010, plus de dix mille morts. Si on me dit que ce sont trois mille personnes qui ont été tuées à la résidence du président Laurent Gbagbo, je peux comprendre. Parce que des milliers d’Ivoiriens qui y ont été massacrés par les bombardements français. Vous êtes journaliste, je vous laisse investiguer pour vérifier les chiffres que j’avance.
Les faits, c’est que les comptes sont encore gelés. Quand les comptes de quelqu’un sont encore gelés et que tu lui demandes de venir, la parole est vide ; quand nous avons des amis qui sont encore en prison et qui y sont torturés et qu’on nous demande de rentrer, vous voyez que la parole est vide, elle n’a aucun sens. Quand des ministres, des collaborateurs du président Laurent Gbagbo, son épouse, la première dame Simone Ehivet Gbagbo sont en prison, vous pouvez m’appeler pour me demander de rentrer et je vais y aller ?

Mais certains sont rentrés et vivent a priori tranquillement, l’ancien directeur du Port autonome d’Abidjan, Marcel Gossio par exemple…

Ceux qui ont répondu à l’appel comme vous le dites, ils sont dans quel camp aujourd’hui ? Ils sont rentrés et ont décidé de rentrer dans les rangs. Ce que nous ne pouvons pas faire parce que nous croyons en notre combat, en l’émancipation de notre peuple. Il est bon de vous rappeler aussi que le ministre Assoa Adou qui est rentré est aujourd’hui en prison.

Après la chute de son régime, le président Laurent Gbagbo, a été fait prisonnier en Côte d’Ivoire avant d’être transféré à la Cour pénale internationale où il est gardé depuis plusieurs années alors que l’accusation n’a pu prouver sa responsabilité dans les exactions. D’aucuns estiment que la Cpi devrait laisser Laurent Gbagbo libre, et d’autres non. La cour se retrouve comme dans un « dilemme » pour emprunter les termes de Me Jean-Pierre Mignard, un des avocats de l’Etat ivoirien dans ce procès, le 10 avril dernier sur Rfi. Pour vous, que devrait faire la Cour ?

Il faut le dire, ce procès est un désaveu pour la Cpi. C’est un secret de polichinelle que le dossier est largement et suffisamment vide. Aucun des témoins de l’accusation n’a réussi à démontrer de façon irréfutable la culpabilité du président Laurent Gbagbo. Personne parmi la centaine de témoins n’a réussi à démontrer que Laurent Gbagbo a pensé un seul instant à massacrer les Nordistes, les partisans de monsieur Ouattara comme on a tenté de nous le faire croire. Au contraire, certains témoins pensent qu’il devrait recouvrer sa liberté et retourner en Côte d’Ivoire. C’est le cas aussi de nombreux Ivoiriens qui, vu la gestion chaotique du régime Ouattara, regrettent l’emprisonnement de Laurent Gbagbo et qui souhaitent de tous leurs vœux son retour à la tête du pays. Et ce n’est pas les services de renseignement des puissances de ce monde qui remettraient en cause ces informations. Ce procès, je puis vous le dire, a réussi à montrer au monde entier, le bienfondé du combat du président Laurent Gbagbo et à mettre à nu le jeu trouble de l’impérialisme. Partout en Afrique aujourd’hui, la jeunesse se mobilise. Il y a également de nombreuses personnalités africaines qui sont prêtes à témoigner à la Cpi en faveur du président Gbagbo.
Actuellement, je vous informe qu’il y a des tractations qui ont lieu à la Cpi. Et je pense que s’il avait accepté certains arrangements qui vont contre la souveraineté de la Côte d’Ivoire qu’on lui a proposés, le président Laurent Gbagbo serait déjà sorti de prison et retrouver son fauteuil.
Pour moi, ce qu’il y a à faire, c’est de reconnaître les faits et de rendre justice à Laurent Gbagbo: le libérer et le rétablir dans le fauteuil présidentiel.

En 2020, dans deux ans donc, les Ivoiriens seront appelés une nouvelle fois aux urnes pour désigner le président. Si éventuellement le président Laurent Gbagbo n’est toujours pas libre, que se passera-t-il au sein de son parti, le Fpi, notamment l’aile qui lui est restée fidèle ? Boycottera-t-il une nouvelle fois la présidentielle ?

Il est bon de rappeler qu’après la présidentielle de 2015, les militants du Fpi, au cours d’un congrès, ont décidé de remettre Laurent Gbagbo à la tête du parti. C’est lui le président mais le parti est dirigé par Abou Drahamane Sangaré, « son frère jumeau » qui assure l’intérim. Le président Sangaré et tous les membres de la direction ont arrêté une feuille de route. En 2020, le FPI aura un candidat. Et pour ça, le parti a de nombreux cadres compétents. Je tiens également à souligner que Laurent Gbagbo n’est pas condamné et qu’il peut toujours conduire la destinée de la Côte d’Ivoire.
La mission du Fpi aujourd’hui et celle de tous les Ivoiriens, c’est de créer les conditions pour qu’on ait une commission électorale crédible. Pour cela, il nous faut refonder et réformer la commission électorale comme l’a préconisé la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples en 2016. Cela, d’autant plus que le mandat de l’actuel président Youssouf Bakayoko est arrivé à terme depuis bien longtemps. Selon la loi électorale ivoirienne, le président de la commission électorale est nommé pour un mandat de six ans non renouvelable. Youssouf Bakayoko a été nommé par le président Laurent Gbagbo dans un souci de réconciliation, puis reconduit par Alassane Ouattara en toute violation de la loi. Nous devons donc travailler à installer une Cei vraie.
Je voudrais donc inviter les Ivoiriens à avoir foi en l’avenir. Car, le 11 avril 2011 a été un jour douloureux mais, sept ans après, je pense que nous passons de la douleur à l’espérance. Nous nous devons donc, et ce, plus que jamais d’être mobilisés car seul notre mobilisation pourra faire libérer le président Laurent Gbagbo qui n’est ni plus ni moins qu’un otage de l’impérialisme occidental, notamment français.

Source : banouto.info

 

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