Côte d’Ivoire : Comment le président ivoirien a écarté son ex-dauphin constitutionnel de la course à la présidentielle de 2020

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Il n’a que 46 ans dans une Afrique habituée à la gérontocratie. Mais son histoire est un excellent synopsis pour le Grand écran. Ex-activiste étudiant, puis chef-rebelle, Guillaume Soro est successivement devenu par la force des armes, ministre, Premier ministre, chef de parlement. Une ascension fulgurante qui fait pâlir plus d’un. Car, comme indiqué plus haut, sur le continent, de tels niveaux sont atteints au mieux, entre 50 et 60 ans. Dauphin putatif de Ouattara, il était adoubé par celui-ci. Pour avoir conduit une sanglante rébellion qui ouvert la voie de la présidence. «Guillaume Soro s’est battu pour que les populations du nord puissent retrouver leur dignité par la nationalité ivoirienne » avait-il déclaré à Ferké, ville natale de Soro, en présence des parents de l’actuel président de l’Assemblée nationale. Poursuivant, Ouattara a ajouté ceci : « Ferké connait bien sur un jeune qui a grandi ici, qui a fait le petit séminaire à Katiola qui a fait preuve d’un courage exceptionnel. Bien sûr, il a estimé à un moment donné que nous les anciens, nous étions engagés dans une voie qui, peut-être, allait prendre trop de temps pour faire aboutir notre combat ». Non sans marteler «C’est acte très fort, au dessus des religions. C’est un acte de patriotisme. S’il a fait cela, c’est parce qu’il aime la Côte d’Ivoire et je voudrais le féliciter» lui rendait-il un hommage appuyé le 7 juillet 2013 à Ferké. Premier ministre et ministre de la Défense, Soro avait encore un moyen de pression sur Ouattara. Même quand pour cause d’accord politique avec le Pdci, Soro a perdu la primature, il a gardé la main sur les armes en faisant nommer un de ses proches, Paul Koffi, comme ministre délégué à la Défense. C’est à la partir de cet instant, que Ouattara a commencé à le pousser loin de la ligne de départ de sa succession. De facto, ministre de la Défense, Ouattara avait un regard plus accru sur les questions militaires. Et, petit à petit, Ouattara a fini par mettre l’un de ses fidèles lieutenants, en la personne d’Hamed Bakayoko. Verrouillant un peu plus la porte de sa succession à Soro.

 

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Une disgrâce programmée

En effet, à une marche du sommet de l’Etat, Soro Guillaume a commencé à lorgner le fauteuil présidentiel avec un certain empressement. Provoquant du coup une colère mal contenue de son mentor Ouattara. Qui, à dire vrai, ne le voyait vraiment pas comme son successeur. Car, n’étant pas du sérail.  Dans la guerre de succession, la préférence de Ouattara est allé chez un homme de son écurie, un homme du sérail, Gon Coulibaly. Soro se sent donc trahi. Car, il pense avoir consenti de nombreux sacrifices, et qu’il était temps de récolter ses semences politiques. Après avoir trimé dans le maquis de la rébellion. Attente  qui entre en conflit avec la décision du gourou de la rue Lepic. De fait, Soro se place lui-même dans l’œil du cyclone. Sous des coups de boutoir de Ouattara, le clan Soro est vite rayé de la carte de l’Administration. Ses proches sont dégommés pour la seule raison qu’ils sont ses proches. Lui, leur champion, conteste l’autorité de Ouattara. En arrêtant Kamaraté Souleymane, dit Soul To Soul, Ouattara a envoyé un message on ne peut plus clair à Soro. Tu rentres dans les rangs, ou tu subis la foudre.  Soro choisit la seconde option. Nommé par la suite Vice-président du Rdr, sans contenu, de surcroit, avec un binôme, Soro ne bronchera pas. Naïf, il a cru que le fait d’avoir revendiqué la rébellion lui donnait le droit à la table de Ouattara. Mauvaise pioche.  En s’appuyant sur Gon Coulibaly, une famille très respectée au Nord, Ouattara avait déjà fait un choix. Irréversible.

Soro ne jouait qu’un rôle de fusible. Ce dernier, porté par une ambition démesurée, ne l’a certainement pas remarqué. Il l’apprend aujourd’hui à ses dépens.

 

L’estocade par le sénat

 

S’étant démené pour  garder « son petit poste de président de l’Assemblée nationale » (l’expression est de lui), Soro croyait en avoir fini avec la fureur de Ouattara. Que non. Pour Ouattara, Soro est une hydre  qu’il faut combattre jusqu’au bout. Pour lui ôter toute envie de postuler à la présidentielle de 2020. En modifiant le protocole au sommet de l’Etat. C’est le sens profond de la création du sénat par Ouattara.  « La création du Sénat est en réalité le moyen pour l’exécutif d’avoir la mainmise sur le législatif. Avoir une majorité acquise au Sénat peut servir de contre-pouvoir à l’Assemblée nationale dont le Président affiche des velléités de conquête du pouvoir présidentiel. Déjà l’Assemblée nationale a été contournée pour l’établissement des règles d’élection des Sénateurs. L’on ne peut donc exclure cette méthode pour l’élaboration des normes relatives aux attributions, à l’organisation et au fonctionnement du Sénat.  L’occasion est donc toute trouvée pour donner plus de pouvoir au Sénat, prétexte pour limiter le pouvoir de l’Assemblée nationale. Mais ce Sénat ne fera en réalité que suivre les directives de l’exécutif qui l’a nommé » révèle Blandine Angbako, Juriste ivoirienne. Elle précise qu’ « en principe, selon l’article 90 de la Constitution, « les conditions d’éligibilité et de nomination, le régime des inéligibilités et incompatibilités, les modalités de scrutin » et toutes autres conditions relatives à l’élection sénatoriale sont fixées par une loi organique. Une loi organique est un texte voté par l’Assemblée nationale et ayant « pour objet de préciser ou de compléter les dispositions relatives à l’organisation et/ou au fonctionnement des Institutions, structures et systèmes » de l’Etat nous précise l’article 107 de la Constitution. En clair, il s’agit d’une loi qui organise le fonctionnement des Institutions de la République. Mais contre toute attente et en contradiction avec la Constitution, une ordonnance n°2018-6143 en date du 14 février 2018 a été prise à la place d’une loi organique pour définir les conditions de l’élection des sénateurs. Il est certes légal pour le président de la République de prendre certaines décisions relevant du domaine de la loi en recourant aux ordonnances. Toutefois, la Constitution pose dans ce cas un préalable. Il s’agit en l’occurrence de « l’autorisation du Parlement » selon les termes de l’article 106 de la Constitution. Cette autorisation, lui est accordée pour une durée déterminée à travers une loi que l’on dénomme « loi d’habilitation ». A l’évidence, cette procédure n’a pas été respectée. ». Voilà qui est clair. Alassane Ouattara ne voulait pas prendre le risque de confier au parlement son « arme fatale » contre Soro. De peur que le chef du parlement instrumentalise des députés pour dénaturer son texte relatif au sénat. Quitte à violer la loi.

De la deuxième à la cinquième place

 

Les manœuvres de Ouattara pour éloigner Soro de sa route et celle de Gon se poursuit avec  le même rythme endiablé. Au point d’éjecter Soro de 2e place, du temps où il était le dauphin constitutionnel, à la cinquième, après le président du sénat, Jeannot Ahoussou, en cas de vacances au sommet de l’Etat. En effet, l’article 180 de la Constitution de 2016 stipule qu’ « En cas de vacance de la Présidence de la République par décès, démission ou empêchement absolu du Président de la République, les fonctions de Président de la République sont exercées par le vice-président de la République. Le nouveau Président de la République achève le mandat du Président de la République élu. Il ne peut faire usage des articles 70, 75 alinéa 1 et 177. Le vice-président de la République exerçant les fonctions de Président de la République ne peut pas nommer de vice-président pendant la durée du mandat restant à courir. Si le nouveau Président de la République se trouve à son tour empêché, pour quelque cause que ce soit, les fonctions de Président de la République sont exercées par le Gouvernement dans l’ordre protocolaire ». Si ce cas de figure se présentait aujourd’hui, Gon Coulibaly assurerait les fonctions de Président de la République au détriment de Soro. Et si par extraordinaire, le gouvernement venait à être forclos, c’est Ahoussou Jeannot, président du sénat, qui deviendrait Président de la République. Pour l’heure, la création du sénat sert uniquement à affaiblir Soro. Ce dernier a-t-il dit son dernier mot ? Pas si sûr. « Il n’est pas exclu que Soro soit candidat contre Ouattara en 2020 » glisse une source crédible.

Une correspondance particulière de Carmen A.

 

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